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disant ces mots, il avala une gorgée préliminaire, comme pour montrer la qualité de sa liqueur, et se préparait à insérer le goulot dans la bouche de l’homme, lorsque, saisi d’une pensée soudaine, il dit en regardant Norna : « Me préservez-vous de tous les malheurs qu’il peut me causer, si je lui prête secours ?… Vous savez bien ce que dit le monde, la mère. »

Pour toute réponse, Norna prit la bouteille dans les mains du colporteur, et se mit à frotter les tempes et le cou du noyé, indiquant au jeune Mordaunt la manière dont il devait tenir la tête de l’infortuné, afin qu’il pût rendre plus aisément l’eau qu’il avait avalée pendant son naufrage.

Le colporteur regarda un moment les bras croisés, puis il ajouta : « À coup sûr, il n’y a plus le même danger à le toucher maintenant qu’il est hors de l’eau, et couché à sec sur le rivage ; très certainement les risques sont pour ceux qui touchent les premiers ; et très certainement, c’est pitié de voir comme ces anneaux serrent les doigts gonflés de cette pauvre créature… Ils lui rendent la main aussi bleue que le dos d’un crabe avant qu’il soit bouilli. » À ces mots, il saisit une des mains froides de l’homme, dont un mouvement convulsif indiquait déjà le retour à la vie, et se mit charitablement en besogne de retirer les bagues qui semblaient être de quelque valeur. »

« Si vous aimez la vie, finissez, » dit Norna d’un ton sévère ; « sinon je ferai telle déposition contre vous, qui puisse bien entraver long-temps vos voyages dans ces îles. — Pour l’amour de Dieu ! la mère, n’en parlez plus, reprit le colporteur ; je contenterai toujours le moindre de vos désirs. J’ai senti hier un rhumatisme dans le dos, et ce serait une triste chose pour un pauvre diable comme moi, d’être arrêté dans les voyages nécessaires à mon petit commerce, gagnant quelques honnêtes sous, et m’aidant de ce que la Providence envoie sur nos côtes. — Paix donc ! répliqua Norna ; paix ! si vous ne voulez pas vous en repentir. Prenez cet homme sur vos larges épaules ; sa vie est précieuse, et vous serez récompensé. — J’en ai grand besoin, » répliqua le colporteur en regardant d’un air pensif la caisse ouverte et les autres objets épars sur le rivage ; « car il est venu se mettre entre moi et une trouvaille qui eût fait un homme de moi pour le reste de ma vie. Et voilà qu’il faut laisser là toutes ces richesses, pour que la marée prochaine les balaie et les entraîne dans le Roost avec tout ce qu’il a dévoré hier matin. — Ne crains pas, répondit Norna, rien ne se perdra… Regarde,