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moins qu’on ne la ranimât promptement. Détacher la cravate de son cou, lui tourner le visage du côté d’où soufflait la brise, le soutenir dans ses bras, c’était tout ce que pouvait faire Mordaunt, tandis qu’il parcourait les alentours avec inquiétude, cherchant des yeux quelque âme humaine qui pût l’aider à mettre ce malheureux dans une meilleure situation.

En ce moment il aperçut un homme qui s’avançait lentement et avec précaution le long du petit rivage ; il espéra d’abord que c’était son père ; mais il pensa aussitôt que M. Mertoun ne devait pas avoir eu le temps de descendre par un chemin tortueux, et d’ailleurs il remarqua que l’homme qui s’avançait était d’une taille plus petite.

Lorsque cet individu fut plus près de lui, Mordaunt n’eut pas de peine à reconnaître le colporteur qu’il avait rencontré la veille à Harfra, et qu’il connaissait déjà depuis long-temps. Il lui cria aussi haut que possible : « Bryce, holà ! Bryce, par ici ! » Mais le porte-balle, occupé à recueillir les débris du vaisseau et à les mettre hors de la portée du reflux, ne donna pas d’abord grande attention à ses cris.

Lorsque enfin il arriva près de Mordaunt, ce ne fut pas pour lui prêter secours, mais pour le censurer sur la témérité d’entreprendre cette œuvre charitable : « Êtes-vous fou, dit-il, vous qui avez demeuré si long-temps dans les îles Shetland, de chercher à rendre la vie à un noyé ? Ne savez-vous pas que, si vous l’arrachez à la mort, il vous fera très certainement quelque tort considérable ?… Allons, maître Mordaunt, mettez avec moi la main à une besogne plus profitable. Aidez-moi à tirer sur le rivage une ou deux de ces caisses que voilà, avant que personne survienne, et nous partagerons en bons chrétiens ce que Dieu nous envoie, puis nous l’en remercierons. »

Mordaunt n’était pas, à vrai dire, étranger à cette superstition inhumaine, qui était alors généralement reçue parmi les dernières classes des Shetlandais, et d’autant plus facilement adoptée peut-être, qu’elle donnait une sorte d’excuse à ceux qui refusaient de secourir les malheureuses victimes d’un naufrage, et qui pillaient leurs richesses. Néanmoins cette opinion que, sauver un noyé, c’était s’exposer au risque d’être un jour maltraité par lui, formait une étrange contradiction dans le caractère de ces insulaires. Ces hommes hospitaliers, généreux et désintéressés en toute autre occasion, étaient poussés par la superstition à refuser leurs secours