Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.

seulement, quelques pièces de charpente, des tonneaux, des caisses, etc., avaient été jetés par le reflux des vagues sur la langue de terre où se trouvait alors Mordaunt. Entre ces débris, son œil perçant eut bientôt découvert l’objet qui avait d’abord attiré son attention, et qu’il pouvait voir de plus près en ce moment. C’était en effet un homme, et dans la plus triste position ; ses bras étaient encore entortillés avec une force convulsive autour de la planche qu’il avait saisie à l’instant le plus critique ; mais il était évanoui et incapable de faire aucun mouvement. En outre, la planche était placée de telle sorte, appuyée par un bout sur le rivage, et enfoncée dans la mer par l’autre, que, selon toute probabilité, la première lame d’eau devait la ressaisir, et rendre inévitable la mort du malheureux marin. Au moment même où Mordaunt s’apercevait de cette circonstance, il vit une vague énorme s’avancer, et il se hâta d’agir avant que le reflux pût enlever le naufragé.

Il s’élança dans les flots, et s’attacha au corps avec toute la ténacité, quoique par une intention bien différente, du lévrier qui saisit sa proie. Le retrait de la vague fut encore plus terrible qu’il ne s’y était attendu, et ce ne fut pas sans lutter d’une manière désespérée pour sa propre vie et pour celle de l’étranger, que Mordaunt parvint à se tenir en cet endroit où, bien qu’habile nageur, la force de la marée devait, ou le précipiter contre le roc, ou l’engloutir sous les eaux ; il tint ferme pourtant, et avant qu’une lame revînt à la charge, il déposa sur la petite langue du rivage laissée à sec le corps de l’homme et la planche à laquelle il restait fortement attaché. Mais comment redonner à ce corps la vie et la force nécessaires à son salut ? comment transporter en un lieu plus sûr un malheureux incapable de seconder en rien tous les efforts qu’on pouvait tenter en sa faveur ? c’étaient des questions que Mordaunt s’adressait avec inquiétude, mais sans y trouver de réponse.

Il regarda vers le faîte du cap où il avait laissé son père, et lui cria de venir à son secours ; mais ses yeux ne purent l’y découvrir, et à sa voix répondirent seulement les cris des oiseaux de mer. Il jeta un second coup d’œil sur le naufragé… Un habit richement brodé à la mode de l’époque, de beau linge, et des anneaux aux doigts, lui montrèrent que c’était un homme d’un rang supérieur ; ses traits paraissaient jeunes et agréables, quoique pâles et défigurés ; il respirait encore, mais si faiblement que son souffle était presque imperceptible ; et la vie paraissait si peu tenir à ce corps qu’on avait tout lieu de craindre qu’elle ne s’éteignît tout-à-fait, à