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fin ils purent reconnaître plus distinctement une forme de vaisseau, car les hautes vagues qui le chassaient vers la côte le soulevaient à la surface, et puis le plongeaient au plus profond des abîmes de l’Océan. Le navire semblait avoir été de deux ou trois cents tonneaux, et armé de manière à se défendre, car on apercevait les sabords. Il avait été probablement démâté dans l’ouragan de la veille, et voguait rempli d’eau sur les vagues, en proie à leur violence. Il semblait certain que les gens de l’équipage, désespérant de pouvoir diriger la marche de leur bâtiment, et même de le tenir à flot à l’aide des pompes, s’étaient jetés dans les chaloupes et l’avaient abandonné. Toutes craintes étaient donc inutiles en ce qui concernait des créatures humaines ; et pourtant ce n’était pas sans ressentir une horreur muette que Mordaunt et son père voyaient la mer prête à engloutir ce chef-d’œuvre au moyen duquel le génie humain prétend dompter les vagues et lutter contre les vents.

Cette masse noire semblait s’élargir à chaque brasse qu’elle laissait derrière elle : le navire accourait, porté par une vague énorme qui roula avec lui sans se briser, jusqu’au moment où la lame et son fardeau se précipitèrent contre le rocher : alors le triomphe des éléments sur l’ouvrage des hommes fut complet. La vague qui avait assez élevé le malheureux vaisseau pour qu’on pût le voir dans toute son étendue, le poussa avec violence contre le rocher du précipice ; le flot, en se retirant, ne laissa voir à la surface qu’une innombrable quantité de poutres, de planches, de tonneaux et d’objets semblables, qui surnagèrent pour être replongés dans l’abîme par la vague suivante, et précipités de nouveau contre le bloc de rochers.

Ce fut en ce moment que Mordaunt crut voir un homme flotter sur une planche ou sur un tonneau, et qui, évitant le courant, semblait devoir prendre terre à un endroit de la côte où les vagues se brisaient moins violemment. Voir le péril et s’écrier : « Il vit ! on peut le sauver ! » fut la première impulsion de l’intrépide Mordaunt. La seconde fut, après un coup d’œil rapide jeté sur le front du rocher, de s’élancer, pour ainsi dire, tant ce mouvement fut rapide, du faîte de ce cap, et de commencer, au moyen de légères fentes, de saillies et de crevasses qui se trouvaient dans le roc, une descente qui, pour tout spectateur, eût semblé être un acte de la plus haute folie.

« Arrêtez, je vous l’ordonne, jeune insensé, s’écria le père ; cette