Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/79

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qui arrêtèrent en route Tam O Shanter[1] (car dans un pays où il n’y a ni haies ni enclos de pierre, il ne peut y avoir ni trous aux murs ni barrières), cependant le nombre et la nature des eaux et marais qu’il eut à traverser en chemin suffisaient amplement à mettre le compte en balance, et à rendre son voyage aussi fatigant, aussi périlleux que la fameuse retraite d’Ayr. Néanmoins, ni sorcier ni magicienne n’arrêtèrent Mordaunt dans sa route. Les jours rallongeaient déjà beaucoup, et il arriva sain et sauf à Jarlshof sur les onze heures du soir. Tout était tranquille et noir autour de la maison, et ce ne fut qu’après avoir sifflé deux ou trois fois sous la fenêtre de Swertha qu’elle répondit au signal.

Au premier coup, Swertha commença un agréable rêve sur un jeune pêcheur-baleinier qui avait coutume de faire entendre, il y avait une quarantaine d’années, un semblable signal sous la croisée de sa hutte ; au second coup, elle s’éveilla pour se rappeler que Johnnie Fea dormait profondément sous les ondes glaciales du Groënland, depuis plus d’une année, et qu’elle était ménagère de M. Mertoun à Jarlshof ; au troisième, elle se leva et ouvrit la fenêtre.

« Qui vient à une pareille heure de la nuit ? — C’est moi, répondit le jeune homme. — Et pourquoi n’entrez-vous pas ? La porte n’est fermée qu’au loquet ; il y a dans la cuisine une tourbe qui brûle, et des allumettes dans la cheminée… vous pouvez allumer votre chandelle. — Il suffit, répliqua Mordaunt ; mais je voudrais savoir comment va mon père. — Absolument comme à l’ordinaire, le pauvre homme !… et vous demandant toujours, monsieur Mordaunt. Vous allez loin dans vos promenades, et vous revenez tard, mon jeune maître. — L’heure noire est donc passée, Swertha ? — Oui vraiment, monsieur Mordaunt ; et votre père est d’assez bonne humeur pour lui, le pauvre homme ! je lui ai parlé deux fois hier, sans qu’il m’eût adressé la parole ; la première fois il m’a répondu aussi civilement que possible ; mais la seconde, il m’a dit de ne pas l’importuner ; et puis, pensai-je, le nombre trois porte bonheur, je lui parlai donc encore pour essayer. Mais il m’a appelée vieille diablesse de babillarde ; sans se fâcher le moins du monde, du reste. — Assez, assez, Swertha ; et maintenant descendez, et trouvez-moi quelque chose à manger, car je n’ai que pauvrement dîné. — Alors vous êtes allé chez les nouvelles gens de Stourburgh ; car il n’existe pas d’autre maison dans toutes les îles où l’on ne

  1. Héros d’un conte écossais de Burns.