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maîtresse à l’écart, la suppliait, par tout ce qui est cher à un homme ou à une femme, de ne point provoquer Norna de Fitful-Head. « Vous n’avez pas sa pareille en Écosse… elle peut voyager sur un de ces nuages aussi commodément qu’on monte un bidet. — Je vivrai pour la voir galoper sur la fumée d’un bon tonneau de goudron, répliqua mistress Baby ; et ce sera un doux palefroi qui lui conviendra à merveille. »

Norna lança un nouveau coup d’œil sur l’enragée mistress Baby Yellowley, avec cet air de mépris imperturbable que son visage savait si bien exprimer ; et s’avançant vers la fenêtre qui regardait le nord-ouest, car c’était de ce côté que semblait alors gronder la tempête, elle resta quelque temps les bras croisés, contemplant le ciel couleur de plomb, obscurci par les tourbillons épais qui, jouets de l’ouragan, laissaient de courts et terribles moments d’attente entre chacun de leurs éclats.

Norna regardait ce spectacle comme si la lutte des éléments lui était familière, et la sombre sérénité de ses traits commandait la crainte en même temps que le respect. Son air était celui qu’on peut supposer à un cabaliste qui contemple l’esprit qu’il vient d’évoquer, esprit dont la vue, bien même qu’il sache comment le soumettre à son enchantement, fait encore frissonner sa chair et glacer son sang. Les autres spectateurs se tenaient dans différentes attitudes qui exprimaient leurs sensations diverses. Mordaunt, sans être indifférent au péril qui les menaçait, était plus curieux qu’alarmé. Il avait ouï parler du pouvoir de Norna sur les éléments, et cette fois il attendait l’occasion de juger par lui-même de sa réalité. Triptolème paraissait abattu beaucoup plus qu’il ne convenait à un philosophe ; et s’il faut avouer la vérité, le digne agriculteur était plus effrayé que curieux. Barbara n’était pas exempte de curiosité ; mais il était difficile de dire si c’était l’impatience ou la peur qui dominait dans ses yeux vifs et ses lèvres serrées. Le colporteur et la vieille Tronda, persuadés que la maison ne tomberait pas tant que la redoutable Norna y serait à l’abri, se tenaient prêts à partir au moindre mouvement qu’elle ferait pour s’éloigner.

Après avoir regardé quelque temps le ciel dans une attitude immobile et avec le plus profond silence, Norna, d’un geste lent et majestueux, étendit son bâton de chêne noir vers la partie de la plaine céleste d’où le vent soufflait avec plus de furie, et, au milieu de ce vacarme, chanta une invocation norwégienne encore fameuse dans l’île d’Uist sous le nom de Chant de la Reim-Kennar, quoi-