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l’être en ce monde. Ils s’aimaient et s’estimaient l’un l’autre… Ils jouissaient d’une ample fortune, et avaient à remplir des devoirs faciles, qu’ils ne négligeaient pas ; la conscience pure et le cœur joyeux, ils riaient, chantaient, dansaient, s’inquiétaient peu du monde, et ne dépendaient de personne.

Mais Minna, avec son âme élevée et sa vive imagination… Minna, douée d’une sensibilité si profonde et d’un enthousiasme si exalté, et condamnée à voir l’une et l’autre s’éteindre dès sa jeunesse, parce qu’avec l’inexpérience d’un caractère romanesque et l’ignorance du monde, elle avait jeté les fondements de son bonheur, non pas sur le roc, mais sur le sable mouvant… était-elle, pouvait-elle être heureuse ? Oui, lecteur, elle fut heureuse ; car, quoi que puisse alléguer un sceptique dédaigneux, à chaque devoir rempli est attachée une heureuse paix d’esprit, une douce conscience d’honorables efforts, proportionnés à la difficulté de la tâche accomplie. Le repos du corps, qui succède à un travail rude et fatigant, ne peut être comparé au calme dont jouit l’âme en pareille circonstance. Sa résignation, cependant, et l’affection constante qu’elle témoigna à son père, à sa sœur, à l’infortunée Norna et à tous ceux qui avaient droit à ses égards, n’étaient ni l’unique ni la plus précieuse source de ses consolations. Comme Norna, mais avec un jugement mieux dirigé, elle apprit à changer les visions d’un fol enthousiasme qui avaient agité et troublé son imagination pour une liaison plus pure et plus vraie avec le monde supérieur que celle qu’avaient pu lui fournir les chants de bardes païens, ou les productions romanesques de poètes plus modernes. Ce fut à cette source qu’elle puisa la force, après avoir connu à diverses reprises l’honorable et glorieuse conduite de Cleveland, d’apprendre avec résignation qu’il avait enfin succombé, en commandant une noble et courageuse entreprise, entreprise qui fut heureusement terminée par ceux à qui sa bravoure déterminée avait ouvert le chemin. Bunce, devenu son imitateur en bien, comme il l’avait été jadis en mal, transmit à Minna un récit de ce douloureux événement, en termes qui montraient que, quoique sa tête fût faible, son cœur n’avait pas été tout-à-fait corrompu par la vie infâme qu’il avait menée quelque temps ; au moins il paraissait s’être amendé ; il avait obtenu de l’avancement et s’était distingué dans la même action ; mais rien disait-il, ne pouvait compenser la douleur que lui causait la perte de son ancien capitaine et camarade,[1]. Minna lut cette nouvelle ; et le-

  1. Nous n’ayons rien pu recueillir de certain sur le sort de Bunce ; mais notre ami