Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/443

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reuse Ulla ! Cleveland est votre fils aussi bien que le mien… le sang de notre sang, les os de nos os ; et si vous lui avez donné la mort, je finirai ma vie misérable avec lui ! — Attendez… demeurez… arrêtez, Vaughan ! je ne suis pas encore confondue ; prouvez-moi seulement la vérité de ce que vous dites, et je trouverai un remède, dussé-je évoquer l’enfer !… Mais prouvez vos paroles, sinon je ne puis y croire. — Toi, le secourir ! femme misérable et orgueilleuse !… vois où tes combinaisons et tes stratagèmes… tes artifices de lunatique… ton charlatanisme de folle… vois où tout cela t’a réduite ! et pourtant je vais te parler comme à une créature raisonnable… je veux même croire que tu es puissante… Écoutez donc, Ulla, les preuves que vous demandez, et trouvez un remède si vous le pouvez. — Lorsque je quittai les Orcades… » continua- t-il après un instant de silence, « et depuis ce temps vingt années se sont écoulées… j’emportai avec moi le malheureux enfant auquel vous avez donné le jour. Il me fut envoyé par une de vos parentes avec la nouvelle de votre maladie, et l’opinion publique fut bientôt que vous étiez morte. Il est inutile de vous dire dans quel misérable état je quittai l’Europe. Je trouvai un asile à Saint-Domingue, où une jeune Espagnole se chargea de me consoler. Je l’épousai… Elle devint mère du jeune homme appelé Mordaunt Mertoun. — Vous l’avez épousée ! » dit Norna d’un ton de reproche amer. — Oui, Ulla, répondit Mertoun ; mais vous fûtes dignement vengée, elle fut infidèle, et son infidélité me donna lieu de douter si l’enfant à qui elle donna naissance pouvait m’appeler son père… Je fus aussi vengé. — Vous lui avez donné la mort ! » dit Norna en poussant un cri terrible. « Je fus vengé, » répliqua Mertoun sans répondre directement, « ce qui me força à m’éloigner aussitôt de Saint-Domingue. J’emmenai votre fils avec moi à la Tortue, où nous avions une petite plantation. Mordaunt Vaughan, le fils que j’avais eu de mon mariage, plus jeune de trois ou quatre ans, resta à Port-Royal pour y recevoir une éducation anglaise. Je résolus de ne jamais le revoir, et je continuai seulement de pourvoir à sa subsistance. Notre plantation fut pillée par les Espagnols ; Clément n’avait alors que quinze ans… La pauvreté vint accroître mon désespoir et l’amertume de mes remords. Je devins corsaire, et fis embrasser à Clément cette infâme profession. Son habileté et sa bravoure lui méritèrent, malgré son jeune âge, le commandement d’un navire séparé ; et, après un espace de deux ou trois années, tandis que nous croisions de côtés différents, mon équipage se révolta contre