Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/437

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mal pour moi cette fois-ci, car je suis blessé mortellement, je crois.

— Vous n’êtes pas assez sot pour le croire, » dit Jack Bunce en courant à son secours, ainsi que Cleveland ; mais tout secours humain venait trop tard. Fletcher retomba sur son lit, et, tournant la tête de côté, il expira sans un seul gémissement.

« Je l’ai toujours regardé comme un parfait imbécile, » dit Bunce en essuyant une larme qui coulait de ses yeux, « mais jamais comme un idiot assez consommé pour se laisser si sottement tomber du perchoir. J’ai perdu le meilleur des camarades… » et il s’essuya encore les yeux.

Cleveland regarda fixement pendant quelques minutes le cadavre du malheureux, dont les traits rudes n’avaient été nullement défigurés par l’agonie de la mort. « Un boule-dogue, dit-il, de la vraie race anglaise ; et, avec un meilleur conseiller, c’eût été un excellent homme. — Vous en pouvez dire autant de quelques autres, si vous êtes disposé à leur rendre justice, capitaine, répliqua Bunce. — Oui, certes, je le peux, et particulièrement de vous-même. — Eh bien, dites donc : Jack, je vous pardonne ; ce n’est qu’une phrase à prononcer, encore n’est-elle pas longue. — Je vous pardonne de tout mon cœur, Jack, » dit Cleveland qui avait repris sa place à la fenêtre ; « et d’autant mieux, que votre folie n’aura point de grandes conséquences… la matinée qui devait nous perdre tous est arrivée. — Quoi ! vous pensez à la prophétie de la vieille femme dont vous m’avez parlé ? — Elle sera bientôt accomplie. Venez ici : pour quoi prenez-vous ce large vaisseau avec ses énormes agrès qui double, comme vous voyez, le promontoire de l’est et entre dans la baie de Stromness ? — Ma foi, je ne saurais trop dire ; mais voici le vieux Goffe qui le prend pour un vaisseau des Indes occidentales, chargé de rhum et de sucre, je suppose, car du diable s’il ne fait point couper le câble et cingler vers ce bâtiment ! — Au lieu de courir se jeter dans les basses eaux, la seule ressource qui lui restait !… Le fou ! l’imbécile ! l’ivrogne ! la sotte bête !… On lui servira une copieuse rasade, car c’est l’Alcyon,… Voyez, il arbore ses couleurs et tire une bordée… bientôt va sauter la Favorite de la Fortune ! J’espère seulement qu’ils se défendront jusqu’à la dernière planche : le contre-maître était ordinairement assez brave, et Goffe aussi, quoiqu’il soit un diable incarné… Enfin, voilà le sloop qui fait feu et s’éloigne avec toutes ses voiles au vent ; c’est montrer quelque sens commun. — Il arbore le Joyeux-Roger, le vieux pavillon noir, avec la tête de mort