Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/419

Cette page a été validée par deux contributeurs.

déployer toutes les voiles, et cingla vers Scalpa-Flow, avec l’intention d’y débarquer pour se rendre par terre à Kirkwall, où il s’attendait à retrouver ses filles et son ami Claude Halcro.




CHAPITRE XXXIX.

le billet.


Maintenant, Emma, maintenant fais ta dernière réflexion sur ce que tu veux suivre, sur ce que tu dois éviter ; nos étoiles de mauvais augure et le ciel courroucé ne laissent pas de milieu à choisir.
Prior. Henri et Emma.


Le soleil était haut sur l’horizon ; un grand nombre de barques travaillaient à transporter du rivage l’eau et les autres provisions qui avaient été promises aux pirates ; et quelle que fût l’activité dont faisaient preuve les pêcheurs pour les conduire à bord, l’équipage du sloop mettait encore plus d’ardeur à les recevoir. Tous les marins avaient le cœur à l’ouvrage ; car tous, excepté Cleveland, se souciaient peu de rester plus long-temps près d’une côte où chaque moment augmentait leur péril, et là où (c’était à leurs yeux un malheur bien plus grand) il n’y avait aucun butin à faire. Bunce et Derrick furent spécialement chargés de diriger ce travail, tandis que Cleveland, se promenant en silence sur le tillac, n’intervenait que de temps à autre pour donner un ordre quand l’occasion s’en présentait, et retombait aussitôt dans de sombres réflexions.

Il y a deux espèces d’hommes qui, aux époques de crimes, de terreur et de convulsions, se montrent comme agents principaux. La première se compose d’esprits si naturellement façonnés, si bien moulus aux actions hideuses, qu’ils s’élancent de leurs sombres repaires, comme de vrais démons, pour travailler dans leur élément natal : telle est l’affreuse apparition de cet homme à longue barbe qu’on vit à Versailles, dans la mémorable journée du 5 octobre 1789, exécuter avec délices les victimes que lui livrait une canaille altérée de sang. Mais Cleveland appartenait à la classe de ces êtres infortunés qui sont entraînés au mal plutôt par le concours des circonstances extérieures que par une inclination naturelle. Il avait d’abord embrassé cette vie coupable sous les auspices de son père ; et quand il l’avait reprise plus tard, il pouvait s’excuser à quelque titre sur l’assassinat de son père, et sur le désir de le venger. D’ail-