Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/415

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dans la force et le courage de son jeune âge ! Mes yeux si peu habitués à pleurer… mes yeux mêmes qui ont si peu de sujet de pleurer pour lui, sont appesantis par le chagrin, en pensant à ce que deviendra un si beau corps avant que le soleil se soit levé deux fois ! — La mère, » dit Cleveland avec fermeté, mais d’une voix un peu émue, « je comprends en partie vos menaces ; vous connaissez mieux que nous la marche que tient l’Alcyon… peut-être pouvez-vous (car je reconnais que vous avez montré une adresse merveilleuse dans de pareilles affaires) diriger sa croisière, sa carrière de notre côté. Soit… ce danger ne changera rien à mes résolutions ; si la frégate vient dans ces parages, nous pourrons nous jeter dans les basses eaux, car je ne pense pas qu’ils puissent nous attaquer avec des barques, comme si nous étions un chebec espagnol. Je suis donc résolu à arborer une fois encore le pavillon sous lequel j’ai toujours croisé, à profiter des mille chances qui nous ont tirés d’embarras dans des circonstances plus périlleuses ; enfin à combattre le navire à outrance. Et, quand les choses en seront venues à tel point que nul homme mortel ne puisse faire davantage, il suffit de tirer un pistolet dans la chambre à poudre, et nous mourrons ainsi que nous avons vécu. »

Un sombre silence succéda à ces paroles pendant quelques instants, le capitaine l’interrompit en reprenant d’un ton plus doux : « Vous avez entendu ma réponse, la mère ? ne discutons pas davantage, mais quittons-nous en paix. J’aurais bien du plaisir à vous laisser en mémoire de moi une bagatelle qui vous rappellerait un pauvre diable à qui vos services ont été utiles, et qui vous quitte sans rancune, quelque contraire que vous soyez à ses plus chers intérêts… Voyons, n’ayez pas honte d’accepter un pareil colifichet, » dit-il en forçant Norna à prendre la petite boîte d’argent travaillée qui avait été jadis le sujet de contestations entre Mertoun et lui ; « ce n’est pas pour le prix du métal, car je sais qu’il n’est d’aucune valeur à vos yeux, mais simplement comme un souvenir qui prouvera que vous avez eu des rapports avec un pirate dont par la suite on contera de si étranges histoires sur les mers qu’il a parcourues. — J’accepte votre présent, dit Norna, pour vous prouver que si j’ai influencé votre destin, c’est à regret, et comme agent involontaire d’autres puissances. Vous dites avec raison que nous ne changeons rien au cours des événements, qu’ils nous entraînent, et rendent nos plus grands efforts inutiles ; de même que les tourbillons de Tuflitae peuvent culbuter et engloutir le plus fort vaisseau en dépit