Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/414

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audacieux, intrépide, libre de tout principe, et n’obéissant qu’au sentiment erroné d’un orgueil indomptable (sentiment que des hommes comme vous appellent honneur) ; et votre voyage dans la vie a été en conséquence incertain, capricieux, orageux et sanguinaire. De moi, cependant, vous recevrez un frein, » continua-t-elle en levant sa baguette magique avec un air d’autorité ; « oui ! quand même le démon qui préside à votre sort paraîtrait ici environné de toutes les terreurs. »

Cleveland sourit avec dédain. « Bonne mère, dit-il, gardez de tels discours pour le marin grossier qui vous supplie de lui envoyer un vent favorable, ou pour le pauvre pêcheur qui vous conjure d’être propice à ses lignes et à ses filets. Il y a long-temps que je suis inaccessible à la crainte et à la superstition. Évoquez votre démon, si vous en avez un à vos ordres, et mettez-le devant moi ; l’homme qui a passé des années entières dans la compagnie de diables incarnés ne doit guère redouter la présence d’un démon sans corps. »

Ces mots furent prononcés avec une indifférence et un ton d’amertume dont l’énergie était trop puissante pour que les illusions que la folie présentait à l’esprit de Norna pussent y résister ; ce fut d’une voix creuse et tremblante qu’elle adressa cette demande à Cleveland : « Pour qui donc me prenez-vous, si vous me refusez la puissance que j’ai achetée si cher ? — Vous avez du savoir, la mère, répondit Cleveland ; au moins vous avez de l’adresse, et l’adresse procure la puissance. Je vous prends pour une femme qui sait diriger sa barque au milieu du courant des événements, mais je vous refuse le pouvoir de changer leur direction. Ne perdez donc pas vos paroles à m’inspirer des terreurs auxquelles je ne puis céder ; mais dites-moi franchement pourquoi vous voulez que je parte. — Parce que je désire que vous ne revoyiez plus Minna ; parce que Minna est destinée à devenir l’épouse de celui qu’on appelle Mordaunt Mertoun… Parce que, si vous ne partez pas avant vingt-quatre heures, vous êtes perdu… C’est parler clairement, j’espère ; répondez-moi en termes aussi clairs, je vous prie. — Je vous déclare donc en termes clairs que je ne quitterai pas ces îles… pas, au moins, avant d’avoir revu Minna Troil ; et que jamais votre Mordaunt ne la possédera tant que je vivrai. — Écoutez-le ! juste ciel ! écoutez un mortel qui dédaigne le moyen de prolonger sa vie !… Écoutez un être coupable… très coupable, qui refuse le délai que lui laisse encore le destin, pour se repentir et pour sauver une âme immortelle !… Voyez comme il se tient droit, hardi et confiant