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la déclamation, déclarant que, foi d’honnête homme, il avait toujours pensé que M. Altamont mettait à réciter cette tirade beaucoup plus d’âme et d’énergie que Betterton.

Bunce ou Altamont lui présenta cordialement la main. « Ah ! vous me flattez, mon cher ami, dit-il ; pourquoi le public n’a-t-il pas eu votre jugement ?… je ne serais pas dans la passe où vous me retrouvez. Le ciel sait, mon cher Halcro… le ciel sait avec quel plaisir je vous aurais emmené à bord avec moi, rien que pour avoir un ami qui aime autant que moi à entendre réciter les pièces les mieux choisies de nos meilleurs auteurs dramatiques. La plupart de mes camarades sont des brutes… et, quant au capitaine que nous avons laissé en otage à Kirkwall, il me traite !… comme je traite Fletcher ; plus je lui rends de services, plus il me rudoie. Mais comme il serait délicieux pour moi, pendant une nuit sous les tropiques, tandis que le vaisseau voguerait sous les vents avec une voile large et bien gonflée, de déclamer l’Alexandre devant vous ; vous seriez pour moi le parterre, les loges et les galeries ! Même, car vous êtes un disciple des Muses, je m’en souviens, qui sait si vous et moi nous ne parviendrions pas, comme Orphée et Eurydice, à inspirer un goût pur à mes compagnons, et à policer leurs manières, tout en rendant meilleurs leurs sentiments ? »

Cette tirade fut débitée avec tant d’action que Claude Halcro commença à penser qu’il avait fait son punch trop spiritueux, et mêlé des ingrédients trop enivrants dans le verre de flatterie qu’il venait de verser ; il craignit que, dominé par l’influence de ces deux potions, le sentimental pirate ne voulût le retenir de force, simplement pour réaliser les scènes que lui présentait son imagination. La conjoncture était cependant trop délicate pour permettre à Halcro de faire la moindre tentative afin de réparer sa bévue ; c’est pourquoi il se contenta de serrer affectueusement la main de son ami, et de prononcer l’interjection hélas ! le plus pathétiquement possible.

Bunce, reprit aussitôt : « Vous avez raison, mon ami ; ce ne sont que de vains projets de bonheur, et il ne reste au malheureux Altamont qu’à rendre service à l’ami auquel il va falloir dire adieu. J’ai résolu de vous envoyer à terre, vous et les deux jeunes filles, avec Fletcher pour vous protéger ; appelez donc les deux jolies sœurs, et qu’elles décampent d’ici avant que le diable jette son grappin sur moi ou sur tout autre. Vous porterez ma lettre aux magistrats, et l’appuierez de votre éloquence… Vous les assurerez que