Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rale, qu’étaient prises toutes les déterminations d’importance relativement aux croisières et aux entreprises. Le reste de l’équipage, en sortant de son ivresse, se persuadait aisément que la résolution adoptée était l’effet légitime de la sagesse combinée de tout le sénat.

En la présente occasion l’orgie ne s’arrêta que quand la plus grande partie de l’équipage montra l’ivresse sous ses formes les plus hideuses et les plus ignobles… proférant des jurons vides de sens… exhalant les plus horribles imprécations de pure gaîté de cœur… chantant des chansons dont l’obscénité pouvait seulement rivaliser avec l’impiété. Au milieu de cet enfer terrestre, les deux capitaines, entourés de trois ou quatre de leurs principaux partisans, du charpentier et du contre-maître, qui tenaient les fils en pareille occasion, formaient un pandœmonium ou conseil privé pour aviser à ce qu’il fallait faire ; car, comme l’observait métaphoriquement le contre-maître, ils étaient dans un étroit canal, et il fallait toujours sonder la route.

Quand ils commencèrent leur consultation, les amis de Goffe remarquèrent à leur grand déplaisir qu’il n’avait pas observé la règle salutaire que nous venons de mentionner, mais que pour cacher la mortification que lui avait causée le retour subit de Cleveland, et l’accueil qu’il avait reçu de l’équipage, le vieux capitaine avait fortement compromis sa raison. La sombre taciturnité qui lui était naturelle avait empêché qu’on ne s’en aperçût avant que le conseil ouvrît ses délibérations ; mais alors la chose devint manifeste.

Le premier orateur qui parla fut Cleveland. Il déclara que, loin de viser au commandement du navire, la seule faveur qu’il demandait, c’était qu’on le débarquât sur une île, sur un écueil, à quelque distance de Kirkwall, et qu’on le laissât s’arranger comme il pourrait.

Le contre-maître attaqua vivement cette résolution. « Nos camarades, dit-il, connaissent tous Cleveland, et n’ont pas moins de confiance en son habileté comme marin, qu’en son courage comme soldat ; d’ailleurs il ne permettait jamais aux liqueurs de le culbuter ; il tenait un milieu raisonnable, toujours prêt à la manœuvre et au combat ; avec lui le vaisseau aurait toujours un homme capable de le diriger… En ce qui touche le noble capitaine Goffe, continua le médiateur, c’est le plus brave gaillard qui rongea jamais un biscuit, je le soutiendrai, par Dieu ! mais aussi, quand il