Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/360

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aime quelqu’un, aime l’étranger Cleveland. — Elle ne l’aime pas… elle n’ose pas l’aimer ; et lui n’ose pas la demander à son père. Je l’ai prévenu, lorsqu’il est arrivé à Burgh-Westra, que je vous la destinais. — Et c’est à cet avis imprudent que je dois la persévérante inimitié de cet homme… ma blessure, et presque la mort. Voyez, ma mère, où vos intrigues nous ont déjà conduits, et au nom du ciel ne les continuez pas davantage. »

Ce reproche parut frapper Norna avec la force et la vivacité d’un éclair ; car elle appuya son front sur ses deux mains, et faillit tomber de son siège. Mordaunt fort effrayé se hâta de la soutenir dans ses bras, et quoique sachant à peine que dire, il prononça quelques mots incohérents.

« Pardonnez-moi, ô ciel ! pardonnez-moi ! » furent les premiers mots qui échappèrent à Norna lorsqu’elle rouvrit les yeux ; « qu’au moins ce ne soit pas lui qui me punisse de mon crime… Oui, jeune homme, » dit-elle après un instant de silence, « vous avez osé dire ce que je n’osais me dire à moi-même… Vous avez dit des choses que je ne puis croire sans en mourir. »

Mordaunt chercha vainement à l’interrompre en protestant qu’il ignorait comment il avait pu l’offenser ou la chagriner, en l’assurant de son sincère regret s’il avait sans intention fait l’un ou l’autre. Elle continua d’une voix tremblante, mais avec véhémence :

« Oui ! vous avez mis le doigt sur le noir soupçon qui empoisonne la conscience même de ma puissance… le seul don que j’aie reçu en échange de mon innocence et de la paix de mon esprit ! votre voix se joint à celle du démon qui, lors même que les éléments me reconnaissent pour souveraine, murmure à mon oreille : « Norna, tout ceci n’est qu’illusion… votre pouvoir n’a pour fondement que la stupide crédulité des ignorants, entretenue par mille petits artifices de votre invention… » Voilà ce que dit Brenda… voilà ce que vous voulez dire ; et si faux, si horriblement faux que cela soit, il y a des pensées rebelles dans ce cerveau troublé, » ajouta-t-elle en touchant son front du doigt, « qui, comme l’insurrection dans un pays révolté, se soulèvent pour prendre parti contre leur souveraine. Épargnez-moi, mon fils ! » continua-t-elle d’une voix suppliante, « épargnez-moi !… la souveraineté dont vos discours me dépouilleraient n’est pas une grandeur digne d’envie. Peu de personnes convoiteraient de commander à des esprits toujours inquiets, à des vents toujours grondants, à des courants toujours furieux. Mon