Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/357

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l’erreur… — Non pas, non pas, » dit Norna avec l’accent de la plus vive sensibilité, « vous avez encore plus qu’un père… votre malheureuse mère n’est pas morte… Plût au ciel qu’elle le fût ! mais elle ne l’est pas. Ta mère, des deux auteurs de tes jours, est la seule qui t’aime ; et je… je… Mordaunt, » ajouta-t-elle en se jetant à son cou, « je suis cette malheureuse… et maintenant très heureuse mère. »

Elle le serra dans des étreintes presque convulsives, et ses larmes, les premières peut-être qu’elle eût versées depuis bien des années, coulèrent par torrent tandis qu’elle le pressait contre son sein. Interdit de ce qu’il entendait, ému lui-même par l’excès de cette agitation, et pourtant disposé à attribuer ces bizarres transports à un accès de démence, Mordaunt s’efforça vainement de calmer l’esprit de cette femme extraordinaire.

« Fils ingrat, dit-elle, quelle autre qu’une mère aurait veillé sur toi comme j’ai veillé ? Dès l’instant où je vis ton père, il y a maintenant plusieurs années, je le reconnus bien, lorsqu’il ne songeait guère à celle qui l’observait ; je te vis alors enfant, confié à ses soins, et la nature, parlant à haute voix dans mon sein, m’assura que tu étais le sang de mon sang et les os de mes os. Songe combien de fois tu t’es étonné de m’apercevoir, aux moments où tu t’y attendais le moins, dans les endroits où tu venais prendre quelque plaisir ou quelque exercice ! Songe combien de fois mes yeux t’ont suivi sur les précipices escarpés, et ma bouche a murmuré pour toi les charmes dont la puissance écarte ces mauvais démons qui se montrent au jeune téméraire dans les endroits les plus glissants du chemin, et le forcent à lâcher prise ! N’ai-je pas suspendu à ton cou, en garantie de ta sûreté, cette chaîne d’or qu’un roi des fées donna au fondateur de notre race ? Aurais-je laissé ce don précieux à un autre qu’à l’enfant de mon sein ?… Mordaunt, ma puissance a fait pour toi ce qu’une mère mortelle aurait tremblé de faire… J’ai conjuré la sirène à minuit pour que la barque voguât heureusement en pleine mer… J’ai retenu les vents, et les navires ont senti leurs voiles vides retomber contre leurs mâts immobiles, pour que tu puises te livrer en sûreté à tes jeux sur les rochers. »

Mordaunt, voyant qu’elle s’égarait davantage à mesure qu’elle parlait, tâcha de faire une réponse qui fût à la fois bienveillante et propre à modérer les transports toujours croissants de son imagination.

« Chère Norna, dit-il, j’ai sans doute bien des motifs de vous ap-