Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

répondit le facteur ; et peut-être pensez-vous qu’il ne peut y avoir de disette là où l’on fait grincer des cordes. Mais c’était le violon de M. Claude Halcro qui, j’ai envie de le croire, jouerait au lit de mort de son père, et au sien propre, aussi long-temps que ses doigts pourraient appuyer sur les cordes. Il n’aggravait pas peu mon infortune en raclant toutes sortes d’airs…. norses, écossais, highlandais, lowlandais, anglais et italiens, à mes oreilles, comme s’il ne nous était rien arrivé de fâcheux ; et cependant nous étions dans la détresse et l’inquiétude. — Je vous ai dit que le chagrin ne raccommoderait pas notre barque, facteur, reprit l’insouciant ménestrel, et j’ai fait tout mon possible pour vous rendre joyaux ; si je n’ai pas réussi, ce n’est ni ma faute ni celle de mon violon. Mon archet s’est promené sur ses cordes en présence du glorieux John Dryden lui-même. — Je ne veux plus entendre parler du glorieux John Dryden, » interrompit l’udaller, qui redoutait les histoires d’Halcro autant que Triptolème redoutait sa musique. « Je n’écouterai plus qu’un de vos contes sur John par trois bols de punch… et d’ailleurs c’est une vieille convention, vous le savez bien. Mais dites-moi, au lieu de cela, comment Norna a reçu votre visite. — Oui, c’est encore une belle aventure, dit maître Yellowley. Elle n’a voulu ni nous regarder ni nous entendre. Seulement elle a accablé notre connaissance, M. Halcro que voici, qui se flattait de causer long-temps avec elle, d’une vingtaine de questions sur votre famille et votre maison, monsieur Magnus Troil ; et quand elle a eu tiré de lui tout ce qu’elle voulait, je crois qu’elle l’aurait bien jeté par dessus le rocher, comme une cosse de pois vide. — Et vous ? demanda l’udaller. — Moi, elle n’a point voulu écouter mon histoire, ni entendre un seul mot de ce que j’avais à lui dire. Ils s’en souviennent ceux qui rendent visite aux sorcières et aux esprits familiers ! — Vous n’aviez pas besoin de recourir à la sagesse de Norna, monsieur le facteur, dit Minna, qui n’était peut pas fâchée de mettre un terme à ces plaisantes railleries contre l’amie qui venait de lui rendre à elle-même un si grand service. « Le plus jeune enfant des Orcades vous aurait dit que les trésors des fées, à moins qu’on ne les emploie sagement au bien des autres autant qu’au sien propre, ne restent pas long-temps entre les mains des possesseurs. — Votre très humble serviteur, miss Minna, répliqua Triptolème ; je vous remercie du conseil… et je me réjouis de voir que vous avez recouvré votre bon sens…. pardon, je voulais dire votre santé… Quant à ce trésor, je n’en ai ni usé ni