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vite et tâchez d’attraper les chevaux ; car je vois qu’il nous faut chercher un autre asile cette nuit, si nous ne voulons pas dormir l’estomac vide et sur un lit quelque peu dur. »

Les domestiques de Magnus, déjà passablement alarmés de la conduite violente de Norna, attendirent à peine les ordres impérieux de leur maître pour évacuer en toute hâte la maison de la sibylle ; et l’udaller, avec une de ses filles à chaque bras, se préparait à les suivre, quand Norna dit emphatiquement : « Arrêtez ! » Ils obéirent et revinrent près d’elle. Elle tendit la main à Magnus, et le pacifique udaller la serra aussitôt dans la sienne.

« Magnus, dit-elle, nous nous quittons par nécessité, mais en bonne intelligence, j’espère ? — Oui vraiment, cousine, » répondit le digne Shetlandais, quoiqu’il hésitât un peu à déposer toute rancune ; « très assurément, oui : je n’en ai jamais voulu à personne, bien moins en puis-je vouloir à mon propre sang, à celle dont l’avis m’a dirigé dans une affreuse tempête, comme j’aurais dirigé une barque au milieu de tous les courants, tourbillons ou marées du Frith de Pentland. — Assez, dit Norna, et maintenant, adieu ; partez avec la bénédiction que j’ose vous donner… pas un mot de plus !… Jeunes filles, ajouta-t-elle, approchez, et laissez-moi baiser votre front. »

Elles obéirent à la sibylle, Minna avec respect et Brenda avec crainte ; l’une dominée par la chaleur de son imagination, l’autre par la timidité naturelle de son caractère. Norna les congédia alors, et deux minutes après, ils se trouvèrent au delà du pont, sur la plate-forme du roc, en face de l’antique Burgh-Picte, que cette femme retirée du monde se plaisait à habiter. La nuit, car elle était alors tombée, était d’une sérénité parfaite. Un brillant crépuscule qui luisait au loin sur la surface de la mer, suppléait à la courte absence du soleil d’été : les vagues semblaient sommeiller sous cette faible et monotone lumière, et venaient sans bruit l’une après l’autre rouler et se briser au pied du roc où se tenaient l’udaller et ses filles. En face d’eux, s’élevait le fort délabré, qui semblait, dans la teinte grisâtre de l’atmosphère, aussi âgé, aussi difforme, aussi massif que le rocher qui le supportait. Rien n’indiquait à l’œil ni à l’oreille que ce fût une habitation humaine, sinon une lucarne par où brillait la lueur de la faible lampe qui, sans doute, éclairait la sibylle dans ses études mystérieuses et nocturnes, et qui lançait au milieu du crépuscule, où il ne tardait pas à se perdre et à se confondre, un seul jet de chétive lumière, en harmonie avec celle