Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/315

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d’argent. Le large flacon de cuir contenant sa liqueur favorite alla courir après le reste du souper, lancé par la main de Pacolet, qui regarda en même temps l’udaller désappointé avec un sourire moqueur, comme si, malgré son goût naturel pour cette boisson, il savourait le mécompte et la surprise de Magnus Troil, plus encore qu’il n’aurait trouvé de délices à goûter sa part du flacon.

La destruction de la bouteille d’eau-de-vie épuisa la patience de Magnus, qui s’écria d’un ton mécontent : « Ma foi, cousine, c’est la rage de détruire… Où et avec quoi voulez-vous que nous soupions ? — Où vous voudrez, répondit Norna, et avec ce qu’il vous plaira… mais non dans ma demeure, ni avec la nourriture dont vous l’avez profanée. Ne troublez pas davantage mon esprit ; mais, partez tous ! vous êtes restés trop long-temps ici pour mon bien et peut-être pour le vôtre. — Comment, cousine, songez-vous à nous mettre à la porte à une heure de la nuit où un Écossais même ne refuserait pas de donner un asile ? Songez-y, bonne dame, votre nom en sera à jamais déshonoré, si cette bourrasque qui vous prend nous force à couper les câbles et à nous mettre en mer, si mal avitaillés. — Silence ! et partez ; qu’il vous suffise d’avoir obtenu ce qui vous amena en ce lieu. Je n’ai point d’abri pour des hôtes mortels, point de provisions pour secourir les besoins humains. Il y a sous ce rocher une couche du plus beau sable, une source d’eau aussi pure que la fontaine Kildinguie, et les rocs produisent une dulse[1] aussi salubre que celle de Guiodin ; et vous savez bien que la fontaine de Kildinguie et la dulse de Guiodin guérissent toutes les maladies, excepté la mort noire[2] — Et je sais bien, répliqua l’udaller, que je mangerais comme un étourneau des herbes marines pourries, et de la chair de veau marin salé, comme les gens de Burraforth, ou des souris, des limaçons et des lamproies, comme les pauvres diables de Stroma, plutôt que de rompre du pain blanc et de boire du vin rouge dans une maison où je reçois un pareil accueil… Et pourtant, » ajouta-t-il en se reprenant, « j’ai tort, oui, grand tort, ma cousine, de vous parler ainsi, et je devrais plutôt vous remercier pour ce que vous avez fait, que vous injurier parce que vous agissez à votre guise. Mais je vois que vous vous impatientez… Nous voilà partis à l’instant… Et vous, drôles, » dit-il en s’adressant à ses domestiques, « qui vous hâtiez tant de faire votre service avant que besoin en fût, déguerpissez

  1. Herbe qui passe pour avoir des vertus médicinales. a. m.
  2. Ainsi du moins le dit un proverbe des Orcades. w. s.