Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/28

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il semblait ne pas l’être moins dans le plan d’éducation qu’il avait adopté pour son fils. Il donnait rarement au jeune homme des marques d’affection paternelle ; pourtant, dans son état d’esprit ordinaire, le but unique de sa vie paraissait être de bien élever Mordaunt ; il était assez instruit et possédait une bibliothèque assez bien montée pour remplir le rôle de précepteur, en tout ce qui concernait l’éducation de Mordaunt ; il était régulier, calme, strict, pour ne pas dire sévère, et il exigeait de son élève une véritable attention. Mais en parcourant l’histoire, dont ils s’occupaient surtout, aussi bien qu’en étudiant les auteurs classiques, il se rencontrait bien des faits, bien des pensées qui produisaient un effet instantané sur l’esprit de Mertoun et le jetaient dans un état que Swertha, Sweyn, et même Mordaunt, avaient coutume d’appeler son heure noire. Il sentait ordinairement le malaise approcher, et se retirait dans un appartement secret où il ne permettait à personne de pénétrer, pas même à Mordaunt. Là, il passait des jours, des semaines même, dans la retraite, ne sortant qu’à des heures irrégulières pour prendre un peu de la nourriture qu’on avait soin de laisser à sa portée ; et d’autres fois, et surtout durant le solstice d’hiver, alors que presque tout le monde passe le temps chez soi en fêtes et festins, cet homme malheureux s’enveloppait dans un manteau sombre couleur de mer, et errait au hasard, tantôt le long de la mer orageuse, tantôt sur les bruyères abandonnées, se livrant à ses tristes et fantasques rêveries, sous un ciel rigoureux, avec d’autant plus de joie qu’il était plus sûr d’errer sans être ni rencontré ni aperçu.

À mesure que Mordaunt grandissait, il remarqua les signes particuliers qui précédaient ces accès de sombre désespoir, et il apprit à prendre les précautions qui pouvaient garantir son infortuné père des interruptions malencontreuses qui avaient toujours pour effet de le mettre en fureur ; il veillait aussi à ce qu’on préparât les provisions nécessaires à sa subsistance. Mordaunt s’aperçut bientôt que la mélancolie de M. Mertoun était de beaucoup prolongée, s’il lui arrivait de se présenter devant lui avant que l’heure noire fût passée. Par respect donc pour son père, aussi bien que pour se livrer aux exercices et aux amusements qu’on recherche à cet âge, Mordaunt prit l’habitude de quitter le château, et même le district de Jarlshof, persuadé que son père, revenu à un état plus calme, ne chercherait point à savoir comment le jeune homme avait employé son loisir, et qu’il lui suffirait d’avoir la certitude que son fils