Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/278

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Toujours les gens fey courent vite, ajouta le Rauzellaer, et le destin pour lequel nous naissons est impossible à éviter… J’ai connu des personnes qui essayaient d’arrêter des gens qui étaient fey… Vous avez entendu parler d’Hélène Emberson de Camsey qui bouchait tous les trous et toutes les fenêtres de sa maison pour que son mari ne vît point la lumière du jour et ne se levât pas afin d’aller à la pêche en pleine mer, parce qu’elle craignait le mauvais temps ; vous savez comment la barque où il devait monter périt dans le Roost, et comment elle s’en revint bien joyeuse d’avoir sauvé la vie à son cher époux… mais jamais on n’évite son destin… elle le retrouva noyé dans le cuvier, et dans sa propre maison encore ; et puis… »

Mais ici Swertha rappela au Rauzellaer qu’il devait se rendre à la baie pour préparer les bateaux de pêcheurs ; « car, dit-elle, en premier lieu, j’ai le cœur tout malade de l’absence du pauvre garçon, et, en second, je crains qu’il ne vienne tout seul avant que les barques soient en mer ; et comme je vous l’ai souvent dit, mon maître peut conduire, mais il ne veut pas tirer ; et si vous n’obéissez pas, si vous tardez à gagner le large, vous ne toucherez jamais un penny du loyer de vos barques. — Bien, bien, bonne dame, répliqua le Rauzellaer, on se mettra en mer aussi vite que possible ; et par bonheur la barque de Clawson et celle de Pierre Grot ne sont pas allées à la pêche ce matin, parce qu’un lapin a passé devant eux tandis qu’ils se rendaient à bord ; ils sont donc revenus en gens sages, sachant qu’il leur adviendrait d’autre besogne aujourd’hui. On s’étonne, Swertha, quand on pense combien peu il reste de gens vraiment judicieux dans ce pays… Il y a bien notre grand udaller qui n’est pas trop mal quand il n’est pas dans la vigne, mais il fait trop de voyages dans son vaisseau et sa pinasse pour y demeurer long-temps ; et voilà que sa fille, mistress Minna, est, dit-on, soumise à des sorts… Sans doute Norna en sait beaucoup plus que d’autres, mais c’est une femme qu’on ne peut appeler sage… Notre tacksman, M. Mertoun, son esprit fait eau, je crois, sous le beaupré ; son fils a le cerveau timbré ; et je ne vois guère de notabilités… toujours excepté moi-même, et peut-être vous, Swertha… qu’on ne puisse, d’une façon ou d’une autre, appeler fous. — Oui, peut-être, Niel Ronaldson, répliqua la vieille dame ; mais si vous n’allez pas plus vite au rivage, vous manquerez la marée ; et, comme je l’ai dit à mon maître il n’y a qu’un instant, qui sera le fou alors ? «