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CHAPITRE XXIV.

la femme de charge.


Mais le mal affreux qui la ronge est loin d’avoir une cause naturelle ; il pénètre si avant dans son cœur, qu’il semble produit par quelque maudite sorcière, par quelque mauvais esprit qui nourrit un tel tourment dans son sein.
Spencer. La Reine des Fées, Liv. III, chant iii.


Il s’était déjà écoulé plusieurs jours depuis l’époque où Mordaunt Mertoun, comme il l’avait promis en partant, devait revenir chez son père à Jarlshof, et on n’avait aucune nouvelle de son retour. Un tel retard, en toute autre occasion, n’aurait guère excité d’étonnement ni d’inquiétude ; car la vieille Swertha, qui s’était adjugé le soin de penser et de conjecturer pour toute la maison, en aurait conclu qu’il était resté après les autres convives pour quelque partie de chasse ou de plaisir. Mais elle savait que depuis peu Mordaunt n’était plus dans les bonnes grâces de Magnus Troil ; elle savait que son jeune maître se proposait de ne pas prolonger son séjour à Burgh-Westra, vu la santé de son père pour qui il se montrait toujours plein d’égards, malgré le peu d’encouragement que recevait sa piété filiale. Swertha savait tout cela, et commençait à s’inquiéter. Elle cherchait à lire sur le visage de M. Mertoun ; mais sa physionomie toujours empreinte d’un calme sombre et sauvage, comme la surface d’un lac à minuit, ne laissait apercevoir aucun sentiment intérieur. Ses études, ses repas qu’il prenait seul, ses promenades solitaires, se succédaient dans un ordre invariable, et ne semblaient pas troublés par la moindre pensée au sujet de l’absence de Mordaunt.

Enfin, de tels rapports arrivèrent de différents côtés aux oreilles de Swertha, qu’il lui fut tout-à-fait impossible de cacher son inquiétude, et qu’elle résolut, au risque de provoquer la furie de son maître, ou peut-être de perdre sa charge dans la maison, de le forcer à donner son attention aux craintes qui la tourmentaient. La bonne humeur et la joyeuse mine de Mordaunt devaient avoir fait une grande impression sur le cœur insensible et égoïste de la pauvre vieille femme, pour la pousser à prendre ce parti désespéré, dont son ami le Rauzellaer cherchait vainement à la détourner.