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jeune, du commandement d’un sloop monté par trente gaillards les plus déterminés qui furent jamais. Nous croisâmes long-temps sans aucun succès, ne prenant rien que de méchants filets destinés à la pêche des tortues, ou des barques chargées de brimborions sans beauté ni valeur. J’avais beaucoup de peine à empêcher mes camarades de se venger sur les équipages de ces misérables bateaux du désappointement qu’ils nous occasionnaient. Enfin, le désespoir nous gagna, et nous fîmes une descente dans un village où nous apprîmes que nous pourrions intercepter un convoi de mules chargées des trésors d’un certain gouverneur espagnol. Nous parvînmes à emporter la place d’assaut ; mais tandis que je m’efforçais d’arracher les habitants à la fureur de mes gens, les muletiers, avec leur précieuse cargaison, s’enfuirent dans les bois voisins, accident qui mit le comble à mon impopularité. Mes hommes, qui avaient d’anciens griefs contre moi, se mutinèrent ouvertement : je fus déposé dans un conseil solennel de ma place de capitaine, et condamné, comme ayant trop peu de bonheur et beaucoup trop d’humanité pour la profession que j’avais embrassée, à être abandonné dans une de ces petites îles sablonneuses et boisées, qu’on appelle Keis dans les Indes occidentales, et qui ne sont fréquentées que par les tortues et les oiseaux de mer. On les suppose habitées, les unes par les démons qu’adoraient les anciens naturels, les autres par les caciques que les Espagnols ont mis à mort au milieu de cruelles tortures, pour les forcer à découvrir où ils avaient caché leurs trésors, et d’autres enfin par les différents spectres auxquels les marins de toute nation ajoutent une foi implicite. Le lieu de mon bannissement, appelé Coffin-Key, à trois lieues et demie vers le sud-est des Bermudes, avait une si mauvaise renommée, comme repaire de ces êtres surnaturels, que les richesses du Mexique n’auraient pas, je crois, persuadé aux plus braves des bandits qui me débarquèrent dans cette île d’y passer une heure seuls, même en plein jour ; et quand ils s’en éloignèrent, ils regagnèrent au plus vite notre sloop, sans oser seulement jeter un coup d’œil en arrière. Ce fut là qu’ils m’abandonnèrent, pour subsister comme je pourrais, sur un sable stérile, entouré par l’Atlantique sans bornes, et fréquenté, disait-on, par des démons malfaisants. — Et qu’en arriva-t-il ? » demanda Minna avec empressement.

« Je parvins à vivre, répondit l’aventurier, aux dépens des oiseaux de mer qui étaient assez simples pour me permettre d’approcher d’eux, de manière à les tuer à coups de bâton, et au moyen