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moi, qui maintenant me promène sur cette côte solitaire, moi, à qui vous permettez de parler d’une passion qui fait mon bonheur, j’aie jamais été le chef audacieux de la bande hardie dont le nom était aussi redouté qu’un ouragan. — Vous n’eussiez jamais reçu la permission de tenir ce langage téméraire à la fille de Magnus Troil, si vous n’aviez pas été le brave et intrépide chef qui, avec si peu de ressources, a rendu son nom formidable. Mon cœur est comme celui d’une vierge des anciens jours : il faut le conquérir, non par de belles paroles, mais par de vaillantes actions. — Hélas ! dit Cleveland, que puis-je faire, moi ? que pourrait faire un homme pour mériter autant d’amour que j’en désire ? — Rejoignez vos amis… poursuivez le cours de vos aventures… et abandonnez le reste au destin ; si vous reveniez chef d’une belle flotte, qui peut dire ce qu’il adviendrait ? — Et qui m’assurera que, quand je reviendrai… si je reviens jamais… je ne trouverai pas Minna Troil fiancée ou épouse ?.. Non, Minna, je n’abandonnerai pas au destin le seul objet digne d’attachement que ma vie orageuse m’ait encore présenté. — Écoutez-moi, je vous jurerai, si vous osez recevoir un pareil engagement, par la promesse d’Odin, le plus sacré des rites du Nord qui soit encore en pratique parmi nous, de n’accueillir les prétentions de personne avant que vous abandonniez les droits que je vous ai donnés… serez-vous alors satisfait ?… Quant à faire davantage, je ne le puis… je ne le veux pas. — Il faut donc que je me contente de cela, » dit Cleveland après un instant de réflexion ;… « mais songez-y, c’est vous-même qui me renvoyez à une vie que les lois de la Grande-Bretagne déclarent criminelle, et que les violentes passions des hommes sans pitié qui l’embrassent ont rendue infâme. — Mais moi, je suis au dessus de tels préjugés. Quand vous faites la guerre aux Anglais, je ne considère pas leurs lois sous un autre jour que si vous étiez aux prises avec un ennemi qui, dans la plénitude de son orgueil et de sa puissance, a déclaré qu’il ne ferait pas de quartier à son antagoniste. Un brave n’en combat pas moins vaillamment. Quant aux mœurs de vos camarades, en tant qu’elles n’infectent pas les vôtres, pourquoi leur mauvaise réputation retomberait-elle sur vous ? »

Cleveland la regardait, tandis qu’elle parlait ainsi, avec une admiration de surprise au milieu de laquelle perçait en même temps un sourire que lui arrachait la simplicité de son amante.

« Je n’aurais pas cru, dit-il, qu’un si haut courage pouvait se trouver uni à une pareille ignorance du monde, tel qu’il est au-