Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/250

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me serait difficile de leur échapper. Votre père m’aime, Minna ; qui sait si mes longues attentions, mes soins inquiets ne le disposeront pas à me recevoir dans sa famille ? Qui regarderait à la longueur du voyage, s’il était certain de le terminer heureusement ? — Ne rêvez pas un tel succès, il est impossible. Tant que vous vivrez dans la maison de mon père, tant que vous partagerez sa table, vous trouverez en lui un ami généreux, un hôte cordial ; mais sondez-le sur ce qui touche son nom et sa famille, et le franc, le simple udaller deviendra sur l’heure le fier comte norwégien. Voyez, un soupçon est tombé sur Mordaunt, et il a retiré toute sa faveur au jeune homme qu’il chérissait naguère comme un fils. Personne ne s’alliera à sa maison, s’il ne descend pas d’une noble famille du Nord. — Peut-être puis-je prétendre à un tel honneur, si peu que j’en sache sur mon origine, dit Cleveland. — Comment ! s’écria Minna ; êtes-vous fondé à croire que vous descendez d’une race norse ? — Je vous ai déjà dit, répliqua Cleveland, que ma famille m’est totalement inconnue. J’ai passé les jours de mon enfance dans une plantation solitaire, située dans la petite île de Tortuga, et dirigée par mon père, alors bien différent de ce qu’il devint dans la suite. Nous fûmes pillés par les Espagnols, et réduits à une si affreuse pauvreté, que mon père prit les armes par désespoir et par soif de vengeance. Il s’entoura d’une petite bande d’hommes malheureux comme lui ; il croisa contre l’Espagne avec diverses vicissitudes de bonne et de mauvaise fortune, jusqu’à ce que, voulant réprimer les excès de ses compagnons, il tomba sous leurs coups… sort assez commun parmi les capitaines de forbans. Mais d’où venait mon père, ou quel était l’endroit de sa naissance, je l’ignore, belle Minna, et je n’ai jamais ressenti la moindre curiosité à cet égard. — Il était Anglais, du moins, votre malheureux père ? — Je ne puis en douter ; son nom que j’ai rendu trop formidable pour qu’on le prononce publiquement, est Anglais ; et la connaissance qu’il possédait de la langue et même de la littérature anglaise, les peines qu’il se donna, en des temps meilleurs, pour m’apprendre l’une et l’autre, montrent évidemment qu’il était Anglais. Si les rudes manières que j’emploie à l’égard des autres ne constituent pas réellement mon caractère, c’est à mon père, Minna, que je dois l’acquisition d’idées et de principes meilleurs qui peuvent me rendre quelque peu digne de vos éloges et de votre approbation. Et pourtant, il me semble quelquefois que je suis un être double, car il m’est presque impossible de croire que