Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/219

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« Il peut sembler étrange qu’une telle apparition ait pu sortir pour un temps de ma mémoire, comme un rêve de la nuit… mais la chose arriva pourtant. Je m’efforçai de croire que c’était l’ouvrage de mon imagination… je pensai avoir vécu trop long-temps dans la solitude et avoir trop donné carrière aux idées que m’inspiraient mes études favorites. Je les abandonnai quelque temps et me mêlai parmi les compagnes de mon âge. Ce fut dans une visite que j’allai faire à Kirkwall que je fis connaissance avec votre père qui s’y trouvait pour affaires. Il s’introduisit aisément chez la parente où je demeurais, et qui désirait ardemment éteindre, s’il était possible, la haine qui divisait nos deux familles. Votre père, jeunes filles, a été plutôt endurci que changé par l’âge… Il avait les mêmes formes mâles, la même vieille franchise norse de manières et de cœur, le même courage bouillant et la même honnêteté de caractère, avec davantage de l’aimable ingénuité de la jeunesse, avec un plus vif désir de plaire, une meilleure volonté d’être agréable, et une vivacité d’esprit qui ne survit pas aux années. Mais quoiqu’il fût digne d’être aimé, quoique Erland m’écrivît pour m’autoriser à répondre à son amour, il y avait un étranger, Minna, un fatal étranger, plein de talents à nous inconnus et de grâces, dont les manières franches de votre père n’approchaient pas. Oui, en vérité, il vivait parmi nous comme un être d’une race supérieure… Vous avez l’air de vous étonner que j’aie pu séduire le cœur d’un tel amant ; mais, aujourd’hui, Norna de Filful-Head n’a plus rien qui vous puisse dire combien Ulla Troil fut chérie et admirée… La différence qui existe entre le corps animé et le cadavre après la mort est à peine plus grande et plus terrible que le changement que j’ai subi en demeurant sur la terre. Regardez-moi, jeunes filles… regardez-moi à cette lumière vacillante… pouvez-vous croire que ce visage défait et ravagé par la rigueur des saisons… que ces yeux qui sont presque pétrifiés à force de regarder des objets de terreur… que ces boucles de cheveux qui grisonnent et qui flottent à présent comme les voiles en lambeaux d’un navire qui va s’enfoncer.. que ces traits et celle qui en était ornée purent jadis faire naître une tendre affection ? Mais la pâle lampe s’obscurcit… qu’elle s’éteigne pendant que je dirai mon infamie !… Nous nous aimâmes en secret… nous nous vîmes en secret jusqu’au jour où je lui donnai la dernière preuve d’une fatale et coupable passion ! Et maintenant scintille, magique lumière… élève encore un peu ta flamme si puissante même dans ta faiblesse… Empêche celui qui voltige près de nous d’agiter ses noires ailes dans