Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/212

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semblent l’annoncer, une de nous au moins est prête à en apprendre l’objet, avec respect mais sans frayeur. — Norna, chère Norna, » dit la voix tremblante de Brenda qui, ne se trouvant plus en sûreté dans le lit après que Minna l’eut quitté, avait suivi sa sœur, comme les peureux se pressent à la queue d’une armée qui marche à l’ennemi, parce qu’ils n’osent rester en arrière, et se tenait alors à demi cachée derrière son aînée, sans vouloir lâcher le pan de sa robe… « Norna, chère Norna, dit-elle, quoi que vous ayez à nous dire, attendez le jour. Je vais appeler Euphane Fea, la femme de charge, et elle vous trouvera bien un lit pour la nuit. — Plus de lit pour moi ! dit l’hôte nocturne ; plus de sommeil qui ferme mes yeux ! ils sont restés ouverts pour voir les écueils et les rochers paraître et disparaître entre Burgh-Westra et les Orcades… Ils ont vu le roc d’Hoy s’affaisser dans la mer, et le pic d’Hengeliff en sortir, et n’ont pas encore goûté de repos. Asseyez-vous donc, Minna ; et vous aussi, folle trembleuse, asseyez-vous, pendant que je prépare ma lampe… mettez vos vêtements, car mon histoire est longue, et avant qu’elle soit finie vous tremblerez, mais d’un frisson pire que le froid. — Eh bien, pour l’amour du ciel, remettez-la à demain, chère Norna, dit Brenda ; l’aurore va bientôt se montrer, et si vous avez à nous parler de choses effrayantes, que ce soit au grand jour du moins, et non à la lueur sombre de cette lampe bleuâtre. — Patience, » reprit la visiteuse inattendue, « Norna ne racontera pas en plein jour une histoire qui pourrait faire pâlir le soleil au milieu des cieux, et décevoir les espérances des cent barques qui quitteront le rivage avant midi, pour commencer leur pêche en pleine mer,… oui, et encore des cent familles qui attendraient leur retour. Le démon, que le son de ma voix ne manquera point d’éveiller, ne doit étendre ses noires ailes que sur une mer sans vaisseaux ni barques, lorsqu’il s’élancera du faîte de la montagne pour s’enivrer des accents d’horreur qu’il aime tant à entendre. — Ayez pitié des craintes de Brenda, bonne Norna, dit la sœur aînée, et remettez au moins vos terribles communications à un autre lieu, à une autre heure. — Non, jeune fille, » répliqua Norna d’un ton sinistre ; « je dois parler pendant que cette lampe brûle encore. Mon histoire ne se raconte pas de jour… il la faut dire à la clarté de cette lampe : les matériaux en furent fournis par le gibet du cruel lord de Wodensvoe qui assassina son frère, et la liqueur qui l’alimente ne sort ni du poisson ni du fruit !… Voyez, elle devient de plus en plus pâle, et mon histoire ne doit pas durer