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reculant d’un pas ou deux, croisa les bras sur sa poitrine et refusa de serrer la main qu’on lui tendait. Le jeune homme recula à son tour, et vit avec étonnement les manières peu gracieuses et l’air presque insultant que prenait le capitaine pour recevoir ses remercîments, après lui avoir jusque là témoigné plutôt une franche cordialité, ou du moins l’apparence d’un attachement sincère.

« C’en est assez, » dit Cleveland en remarquant cette surprise, « il n’est pas nécessaire d’en parler davantage. Ma dette est payée, et maintenant nous sommes quittes. — Vous êtes plus que quitte envers moi, monsieur Cleveland, répondit Mordaunt, puisque vous avez exposé votre vie, pour me rendre ce que j’avais fait pour vous sans le moindre danger ; d’ailleurs, » ajouta-t-il en essayant de donner à la conversation un tour moins sérieux, « j’ai reçu votre fusil par dessus le marché. — Les lâches seuls font entrer le péril en ligne de compte, reprit Cleveland ; le péril fut toujours le compagnon de ma vie ; il a fait voile avec moi dans mille aventures… Quant au fusil, j’en ai assez d’autres, et vous pourrez voir, quand vous le voudrez, lequel de nous sait mieux s’en servir. »

Il y avait dans le ton dont cette phrase fut dite quelque chose qui frappa vivement Mordaunt ; c’était une malice cachée (miching malicho), comme dit Hamlet, une mauvaise intention déguisée. Cleveland vit sa surprise ; il se rapprocha de lui, et parlant à voix basse : « Écoutez-moi, mon jeune ami, dit-il, nous autres enfants de fortune, quand nous donnons la chasse au même bâtiment et que nous prenons l’un sur l’autre l’avantage du vent, nous pensons qu’un espace de soixante pas sur le rivage et une paire de fusils ne sont pas une mauvaise manière de terminer la dispute. — Je ne vous comprends pas, capitaine Cleveland, dit Mordaunt. — Je le crois bien… Je me doutais que vous ne me comprendriez pas, » répondit le capitaine, et tournant les talons avec un sourire qui ressemblait à de l’ironie, il se mêla parmi la foule ; puis on l’aperçut au côté de Minna : la jeune fille lui parlait avec des traits animés, et semblait le remercier de sa brave et généreuse conduite.

« N’était Brenda, pensa Mordaunt, j’aurais autant aimé qu’il me laissât dans le lac, car personne ne semble s’inquiéter si je suis mort ou vivant.. Deux fusils et soixante pas de distance sur le rivage… est-ce là ce qu’il demande ?… Il peut venir… mais pas le jour où il m’a sauvé la vie au risque de la sienne. »

Tandis qu’il s’abandonnait à ces idées, Éric Scambester murmurait à Halcro ; « Si ces deux jeunes gens ne se lâchent pas quelque