Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/168

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serkars, sont devenus aussi incapables de manier leurs épées que s’ils étaient des femmes. On peut vanter leur adresse à remuer une rame, leur agilité à gravir un rocher ; mais quel autre éloge le glorieux John lui-même pourrait-il faire de vous, bons Hialtlanders ? — C’est parler comme un ange, très noble poète, » dit Cleveland, qui, profitant d’un moment de repos, était venu près du groupe où se tenait cette conversation ; « les vieux champions dont vous nous parliez hier soir étaient des hommes dignes de faire retentir une harpe… de courageux gaillards, amis de la mer et ennemis de tout ce qui s’y promenait. Leurs vaisseaux, je suppose, étaient passablement grossiers ; mais s’il est vrai, comme le dit la tradition, qu’ils soient allés jusqu’au Levant, j’ai peine à croire que jamais meilleurs marins hissèrent une voile de perroquet. — Oui, répliqua Halcro, vous leur rendez justice. À cette époque personne ne pouvait dire que sa vie et son bien lui appartinssent, à moins de demeurer à vingt milles au moins de la mer azurée. Ma foi, on disait des prières publiques dans toutes les églises de l’Europe, pour être préservé de la colère des guerriers du Nord. En France et en Angleterre, en Écosse même, si haut que les Écossais d’aujourd’hui lèvent la tête, il n’y avait pas une baie ni un port dont nos aïeux n’eussent la jouissance plus libre que les pauvres diables d’habitants… Maintenant, pour semer un champ d’orge, nous sommes forcés de recourir aux Écossais… (là il lança un regard de sarcasme sur le facteur). Je voudrais revoir les temps où nous mesurions nos armes avec les leurs. — C’est encore parler comme un héros, dit Cleveland. — Ah ! continua le petit barde, je voudrais qu’il fût possible de voir nos barques, jadis dragons aquatiques du monde, voguer avec l’étendard noir du corbeau attaché au perroquet, et leurs ponts brillants d’armures, au lieu d’être surchargés de filets… ravissant de nos mains intrépides ce que refuse un sol stérile… punissant les anciens mépris et les nouveaux affronts… recueillant où nous n’avions jamais semé, et coupant l’arbre que nous n’avions jamais planté… vivant et riant par le monde, et souriant encore à l’heure de le quitter. »

Ainsi parla Claude Halcro, peu sérieusement peut-être, ou du moins un peu hors de son bon sens ; son cerveau, qui jamais ne fut bien solide, tournait sous l’influence de vingt chansons qui se présentaient à la fois à sa mémoire, de quelques copieuses rasades d’eau-de-vie et d’usquebaugh. Cleveland, d’un ton moitié railleur, moitié sérieux, lui répéta en lui frappant sur l’épaule ; « C’est par-