Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/150

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galanterie que sa sœur à qui elle devrait si peu convenir. »

Mordaunt se trompait doublement dans ces tristes réflexions : en premier lieu, c’était avec les yeux d’un rival qu’il critiquait les manières et la tournure du capitaine Cleveland ; sa critique était donc beaucoup trop sévère. À la vérité, le marin était peu raffiné dans ses manières, mais c’était peu de chose chez des gens aussi simples, aussi peu civilisés que les Shetlandais. D’ailleurs il avait l’air ouvert et franc, beaucoup de finesse naturelle, une heureuse gaîté de circonstance, une confiance imperturbable en lui-même, et cette hardiesse entreprenante qui, sans autre qualité recommandable, mène souvent à des succès près du beau sexe. Mais Mordaunt se trompait plus encore en supposant que Cleveland dût déplaire à Minna Troil, à cause de la différence de leurs caractères sur tant de points importants. Si Mordaunt eût vécu un peu plus dans le monde, il aurait observé que, si l’on voit contracter des unions entre des personnes dont le ton et la taille diffèrent, ces unions sont encore bien plus fréquentes entre des individus tout-à-fait dissemblables de sentiments, de goûts et d’intelligence ; peut-être ne dirait-on pas trop si on prétendait que les deux tiers des mariages se forment de deux personnes qui au premier coup d’œil paraîtraient ne devoir jamais ressentir de sympathie l’une pour l’autre.

Une cause importante peut être assignée à ces anomalies, dans les sages dispensations de la Providence, qui a voulu maintenir dans la société un partage égal d’intelligences et d’aimables qualités de toute espèce. En effet, que deviendrait le monde si la sagesse s’unissait toujours à la sagesse, l’érudition à l’érudition, l’amabilité à l’amabilité, la beauté même à la beauté ? N’est-il pas évident que les classes dégradées des fous, des ignorants, des brutaux, des difformes, qui, soit dit en passant, comprennent presque toute l’espèce humaine, si on les condamnait à vivre exclusivement entre eux, deviendraient graduellement aussi brutes de corps et d’esprit que des orangs-outangs ? Lors donc que nous voyons la douceur jointe à la rudesse, nous pouvons plaindre le sort de l’individu qui pâlit, mais nous n’en devons pas moins admirer la puissance mystérieuse qui balance ainsi les maux et les biens moraux de la vie ; qui réserve à une famille, malheureuse par le caractère de l’un des époux, une portion de sang plus doux et meilleur, et assure du moins aux fruits de cet hymen les soins et la protection affectueuse d’un des deux soutiens que leur a donnés la nature.