Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/143

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ma foi, j’en ai donné une copie, comme de quinze autres, à l’immortel John. Vous l’entendrez… vous les entendrez toutes, si vous voulez seulement attendre encore un moment. Et vous aussi, mon cher enfant, Mordaunt Merloun, j’ai à peine ouï une parole sortir de votre bouche depuis six mois, et voilà que vous me fuyez. » En parlant ainsi, il s’assura de Mordaunt avec l’autre main.

« Allons, maintenant qu’il nous a remorqués tous les deux, dit le marin, il n’y a rien de mieux à faire que de l’écouter, quoiqu’il file sa corde aussi lentement qu’un vieux matelot de vaisseau de guerre fait sa ronde à minuit. — Chut ! du silence, du silence, et permettez qu’un seul de nous parle à la fois, » s’écria le poète d’un ton impératif, tandis que Cleveland et Mordaunt se regardaient avec une plaisante expression de résignation, et attendaient patiemment le récit inévitable qu’ils connaissaient trop bien tous deux. « Je vais vous conter cela tout au long, reprit Halcro. Je fus lancé dans le monde comme tant d’autres jeunes gens, faisant ceci, cela, et puis d’autres choses pour vivre ; car, Dieu merci, je puis mettre la main à toute besogne ; mais aimant les muses tout autant que si les ingrates coquines m’avaient procuré, comme à tant d’imbéciles, un carrosse à six chevaux. Pourtant, je me tirai d’affaire jusqu’au moment où mon cousin, le vieux Laurence Linkletter, mourut et me légua un morceau de terre dans cette île, quoique, soit dit en passant, Cultmalindie fût aussi proche parent que moi. Mais Laurence aimait l’esprit, bien qu’il n’en eût guère de son fonds. Il me légua donc ce pauvre bout de terre… qui est aussi stérile que le Parnasse lui-même. Eh bien, quoi !… J’ai un sou à dépenser, un sou à garder en bourse, un sou à donner au pauvre… et même une bouteille et un lit pour un ami, comme vous pourrez vous en convaincre, jeunes gens, en venant chez moi, quand la fête sera finie… Mais, où en étais-je de mon histoire ? — Près du port, j’espère, » répondit Cleveland ; mais Halcro était un conteur trop déterminé pour se laisser interrompre par un sarcasme.

« Ah ! j’y suis, » continua-t-il avec l’air content de lui, d’un homme qui a retrouvé le fil d’une histoire. « Je logeais dans Russell-Street, avec le vieux Timothée Thimblethwaite, le maître… tailleur, alors connu de réputation dans toute la ville ; il travaillait pour tous les beaux esprits, ainsi que pour tous les butors favorisés par la fortune, et faisait payer les uns pour les autres. Il ne refusa jamais de faire crédit à un bel esprit, sinon par plaisanterie et pour le plaisir d’en tirer une repartie ; il se trouvait ainsi en corres-