Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/126

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’elle s’y abandonnât avec plus de réserve et avec une espèce de honte. « Elle avait éteint le feu, disait-elle, car c’était pitié de perdre du bois dans une contrée si froide ; et elle n’avait pas pensé à préparer quelque chose, vu qu’ils devaient partir de bonne heure. Aussi ne pouvait-elle s’empêcher de dire que le pain du jeune gentilhomme avait très bonne mine ; de plus, elle était curieuse de savoir si dans ce pays on accommodait le bœuf de la même manière que dans le nord de l’Écosse. » D’après ces considérations réunies, dame Baby fit joyeusement usage des rafraîchissements qui lui arrivaient d’une façon si inattendue.

Quand leur repas imprévu fut terminé, le facteur demanda à grands cris qu’on partît aussitôt, et Mordaunt découvrit alors que l’alacrité avec laquelle il avait été reçu par mistress Baby n’était pas entièrement désintéressée. Ni elle, ni le savant Triplolème ne se sentaient fort disposés à s’aventurer au milieu des déserts shetlandais, sans le secours d’un guide, et quoiqu’ils eussent pu se faire accompagner par un de leurs charretiers, cependant le prudent agriculteur observa que ce serait perdre au moins une journée de travail, et sa sœur augmenta ses appréhensions en répétant :

« Une journée de travail ?… vous pouvez bien dire vingt… que leur nez sente le fumet d’une marmite, que leurs oreilles entendent le son d’un violon, et puis rappelez-les à la charrue si vous pouvez. »

Or l’heureuse arrivée de Mordaunt, dans un moment si opportun, pour ne pas parler de la bonne chère qu’il apportait avec lui, le fit accueillir aussi cordialement qu’il était possible à une porte qui, dans toutes les occasions ordinaires, abhorrait l’entrée d’un hôte. D’ailleurs M. Yellovvîey n’était pas tout-à-fait insensible au plaisir qu’il se promettait à détailler ses projets de perfectionnement à son jeune compagnon, et à goûter un bonheur qui lui arrivait rarement… la compagnie d’un auditeur patient et émerveillé.

Comme le facteur et sa sœur devaient voyager à cheval, il ne restait plus qu’à trouver une monture pour leur guide et compagnon. C’était une chose facile à se procurer dans un pays où l’on rencontre par bandes des poneys velus à dos long et à jambes courtes, courant en liberté dans les vastes marécages qui servent de pâturages communs aux bestiaux de chaque village ; où les chevaux, les oies, les porcs, les chèvres, les moutons et les petites vaches shetlandaises sont laissés pêle-mêle, et souvent en si grand nombre, qu’ils ne peuvent obtenir qu’une substance précaire d’une végétation si paresseuse. Il existe, à la vérité, un droit de pro-