Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/122

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mieux que jamais dans les bonnes grâces de la famille du vieil udaller de Burgh-Westra. Swertha et le vieux Rauzellaer branlèrent la tête à ce changement, et rappelèrent à Mordaunt par des demi-mots, par des phrases rompues, qu’il s’était attiré cette disgrâce, en consacrant imprudemment tous ses efforts à sauver la vie de l’étranger, lorsqu’il était à la merci de la première vague qui allait le briser contre le Sumburgh-Head. « Mieux vaut laisser l’eau salée faire à sa guise, disait Swertha ; malheur arrive toujours à qui l’en empêche ! — C’est la vérité, répondait le Rauzellaer ; les gens sages laissent leur bien à la vague comme au chanvre… Bonheur ne nous advient jamais d’un homme à demi noyé ou à demi pendu. Qui tira sur Will-Patterson aux environs de Noss ?… le Hollandais qu’il sauva du naufrage, je pense… Jeter au malheureux qui se noie une planche ou une corde, c’est peut-être un devoir de chrétien ; mais ne le touchez pas, si vous voulez vivre, et qu’il ne vous cause aucun malheur. — Vous êtes la sagesse même, Rauzellaer, et un digne homme, » reprenait Swertha avec un soupir ; « vous savez aider à propos un voisin, aussi bien que pêcheur qui tira jamais un filet. — La vérité est que je ne suis pas né d’hier, dit le Rauzellaer, et je me rappelle ce que les vieux de ma jeunesse disaient à ce sujet. Personne, de tous nos compatriotes, n’ira plus loin que moi, quand il s’agira de faire une œuvre de charité chrétienne envers mon semblable sur la terre ferme ; mais s’il crie au secours du milieu de l’eau salée, c’est une autre histoire. — Et pourtant songer que ce jeune Cleveland se met devant la lumière de notre M. Mordaunt, et chez Magnus Troil encore, qui le regardait comme la fleur de l’île à la Pentecôte dernière, chez Magnus qui passe… quand il est à sec, l’honnête homme… pour le plus sage et le plus riche des Shetlandais. — Magnus n’y trouvera pas son compte, » dit le Rauzellaer avec un air de merveilleuse sagacité. « Il y a des occasions, Swertha, où les plus sages d’entre nous… (et, ma foi, j’avoue humblement que je ne m’excepte pas) peuvent ne guère mieux valoir que des mouettes ; et il leur est aussi impossible de gagner quelque chose à leurs actes de folie, qu’il m’est impossible, à moi, de grimper sur le Sumburgh-Head : tel je me suis trouvé deux ou trois fois dans ma vie. Mais nous verrons bientôt quel malheur amènera tout ceci, car il n’en peut advenir rien de bon. »

Et Swertha répondit avec le même ton de sagesse prophétique : « Non, non, il ne peut en advenir du bien ; c’est fort bien dit. »

Ces tristes prédictions, répétées de temps à autre, produisirent