Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/115

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étroit ravin couvert, et s’avançant avec si peu de bruit qu’il ne se retourna qu’après avoir été touché.

Mordaunt Mertoun n’était de sa nature ni peureux ni crédule ; les études qu’il avait faites avec plus de fruit que beaucoup d’autres avaient en quelque sorte fortifié son esprit contre les attaques de la superstition ; mais il aurait été un vrai prodige, si, demeurant aux îles Shetland à la fin du dix-septième siècle, il eût possédé la philosophie qui ne devint générale en Écosse qu’au moins deux générations plus tard. Il révoquait en doute l’étendue et même l’existence des attributs surnaturels de Norna, et c’était une grande hardiesse d’incrédulité dans un pays où cette croyance était universellement reçue ; mais son incrédulité n’allait pas plus loin que des doutes. C’était évidemment une femme extraordinaire, douée d’une énergie supérieure à celle des autres, agissant d’après des motifs à elle particuliers, et apparemment indépendante des considérations purement terrestres. Imbu de ces idées, qui s’étaient imprimées chez lui dès son enfance, ce ne fut pas sans une émotion assez voisine de la frayeur qu’il aperçut soudain cette femme mystérieuse placée si près de lui, et le regardant d’un air aussi triste et aussi sévère que celui avec lequel les Valkiries, ces fatales vierges de la mythologie du Nord, étaient censées regarder les jeunes guerriers désignés par elles pour assister au banquet d’Odin.

En effet, on considérait au moins comme de mauvais augure de rencontrer Norna seule et dans un lieu éloigné de tous témoins. Elle passait pour être alors aussi bien une prophétesse de malheurs qu’un présage d’infortune pour celui qui faisait une pareille rencontre. Il n’y avait point d’insulaires qui, tout familiarisés qu’ils étaient à la voir, ne fussent étonnés de la trouver sur les bords solitaires du lac Vert.

« Je ne vous apporte aucun malheur, Mordaunt Mertoun, » dit-elle, lisant peut-être quelque chose de ce sentiment superstitieux dans les yeux du jeune homme. « Je ne vous fis jamais de mal, et ne vous en ferai jamais. — Je suis sans crainte, » répondit Mordaunt, s’efforçant de bannir une frayeur qu’il sentait mal convenir à un homme ; « et pourquoi vous craindrais-je, la mère ? vous fûtes toujours mon amie. — Pourtant, Mordaunt, tu n’es pas de notre pays ; mais il n’est personne en qui coule le sang shetlandais, personne même de ceux qui entourent le foyer de Magnus Troil, ce noble descendant des anciens comtes des Orcades, à qui je souhaite plus de bien qu’à toi, mon bon et