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la part de l’udaller et de sa famille. Depuis peu cette correspondance était devenue de moins en moins suivie, et aucun envoyé de Burgh-Westra n’avait visité Jarlshof depuis plusieurs semaines. Mordaunt observa et sentit ce changement, et il questionnait Bryce aussi minutieusement que son orgueil et la prudence le lui permettaient, afin de découvrir, s’il était possible, la cause de cet oubli. Il s’efforça de prendre un air d’indifférence pour demander au colporteur s’il n’y avait point de nouvelles dans le pays.

« De grandes nouvelles, répondit le colporteur, et en grand nombre. Ce vieux tou, le nouveau facteur, veut faire un changement dans les bismars et les lispunds[1]  ; et notre digne fowd, Magnus Troil, a juré qu’avant d’adopter ces innovations, il jetterait le facteur Yellowley du haut de Brassa-Craig. — Est-ce tout ? » demanda Mordaunt, que le sujet n’intéressait guère. « Si c’est tout ? c’est bien assez, je pense ; d’après quoi vendra-t-on et achètera-t-on, si on change poids et mesures ? — Cela est vrai ; mais avez-vous ouï parler de bâtiments étrangers à la hauteur de l’île ? — Six dogres hollandais à Brassa, et, à ce que j’ai entendu dire, une galiote de grande dimension, avec ses voiles en berne, dans la baie de Scelloway. Elle doit venir de Norwége. — Point de vaisseaux de guerre ni de sloops ? — Aucun depuis que le Milan apprivoisé appareilla avec les hommes pressés[2]. Si c’était la volonté de Dieu, et que nos compatriotes en fussent dehors, je souhaiterais qu’il s’en allât au fond de l’eau. — Point de nouvelles à Burgh-Westra ?… toute la famille se porte bien ? — Oui, bien et fort bien… un peu fatiguée peut-être à force de s’amuser, de rire et de danser toute la nuit, dit-on, avec le capitaine étranger qui y demeure, celui qui, l’autre jour, fit naufrage à Sumburgh-Head… il avait moins sujet de rire alors. — Ils s’amusent, dansent toute la nuit ! » répéta Mordaunt, loin d’être satisfait… « Et avec qui danse le capitaine Cleveland ?… — Avec celles qui lui plaisent, j’imagine ; en tout cas, il met tout le monde en branle avec son violon. Mais, en conscience, je n’en sais pas long sur ce sujet, car, sur ma foi, je ne puis regarder ces maudits entrechats. On ne devrait pas oublier que la vie est un tissu de laine pourrie. — J’imagine, Bryce, que c’est pour rappeler aux yeux cette salutaire vé-

  1. Ce sont des poids d’origine norwégienne, encore en usage dans les îles Shetland. a. m.
  2. Allusion à la presse anglaise, sorte de recrue forcée de matelots. a. m.