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ment Cleveland, capitaine et possesseur en partie de ce vaisseau, comme je vous l’ai déjà dit. Je suis né à Bristol. Mon père était bien connu sur le Tollsell… le vieux Clem Cleveland de Colledge-Green. »

Mordaunt n’avait pas droit d’en demander davantage, et pourtant il ne se trouvait qu’à demi satisfait. Il y avait dans ces explications une affectation de brusquerie, une espèce de bravade dont les circonstances ne fournissaient aucun prétexte. Le capitaine Cleveland avait souffert de la rapacité des insulaires, mais de Mordaunt il avait reçu au contraire des services importants ; on eût dit cependant que le marin accusait tous les habitants indistinctement du tort qu’on lui avait fait. Mordaunt baissait les yeux et gardait le silence, ne sachant s’il devait se retirer ou aller plus loin dans ses offres de services. Cleveland parut deviner ses pensées, car il ajouta immédiatement d’un ton plus amical : « Je suis un homme franc, monsieur Mordaunt, car je pense que tel est votre nom ; je suis ruiné, ruiné complètement ; et ce malheur ne peut rendre les manières plus douces. Mais vous avez agi envers moi en protecteur, en ami, et peut-être suis-je aussi reconnaissant que si je vous remerciais davantage. C’est pourquoi, avant que de quitter cette maison, je veux vous faire cadeau de mon fusil de chasse ; il peut mettre cent grains de cendrée dans un bonnet hollandais à quatre-vingt-cinq pas… Il sait aussi lancer une balle… j’ai descendu un buffle à cent cinquante verges… Mais j’en ai deux qui sont aussi bons ou meilleurs ; prenez donc celui-ci pour l’amour de moi. — Ce serait prendre ma part des débris du naufrage, » répondit Mordaunt en riant.

« Non pas, » reprit Cleveland en ouvrant une caisse qui contenait plusieurs fusils et pistolets. « Vous voyez que j’ai conservé mon arsenal particulier aussi bien que ma garde-robe. C’est la grande vieille femme vêtue de noir qui m’a sauvé ceci. Soit dit entre nous, cette caisse vaut bien tout ce que j’ai perdu, car, » ajouta-t-il en baissant la voix et en regardant autour de lui, « quand je corne aux oreilles de ces requins de terre que je suis ruiné, je ne prétends pas dire ruiné de fond en comble. Non, voici une arme bonne à autre chose qu’à tuer des oiseaux de mer. » Ainsi parlant, il tira une grande besace à munitions, étiquetée : plomb de chasse, et se hâta de montrer à Mordaunt qu’elle était pleine de pistoles espagnoles et de portugaises, nom qu’on donnait alors aux larges pièces d’or de Portugal. « Non, non, » ajouta- t-il en riant, «j’ai un lest assez considérable pour lancer eu mer un autre navire ; et maintenant