Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire une démarche sur laquelle il n’y a plus à revenir, et que dans cette vue vous eussiez consulté votre honneur et votre réputation.

— Continue, Varney, continue, dit le comte ; je t’ai déjà dit que je n’avais rien décidé ; d’ailleurs, j’ai le projet de peser le pour et le contre.

— Eh bien ! milord, reprit Varney, supposons la démarche faite, la colère royale apaisée, les railleries épuisées, et les larmes essuyées : vous êtes retiré dans un de vos châteaux, assez loin de la cour pour n’entendre ni les plaintes de vos amis, ni la joie de vos ennemis. Nous supposerons aussi que votre heureux rival se sera contenté, ce qui est fort douteux, d’émonder et d’ébranler le grand arbre qui si long-temps lui a intercepté le soleil, et qu’il ne poussera pas les choses jusqu’à vouloir le déraciner tout-à-fait. Eh bien ! le favori de la reine, celui qui portait son bâton de commandement, qui dirigeait ses parlements, n’est plus qu’un baron de province, chassant, ou tirant au faucon, buvant seul avec les gentilshommes du pays, et passant ses vassaux en revue sur l’ordre du haut shérif…

— Varney, c’en est trop ! dit le comte.

— Non, milord, laissez-moi achever le tableau. — Sussex gouverne l’Angleterre ; la santé de la reine s’affaiblit ; un chemin s’ouvre à l’ambition, plus brillant qu’elle n’a jamais pu le rêver… Vous apprenez tout cela au moment où vous êtes assis au coin de votre feu à côté de quelque rustre. Vous commencez alors à songer aux espérances que vous avez abandonnées et à la nullité à laquelle vous vous êtes condamné… et tout cela afin de vous mirer dans les yeux de votre charmante épouse plus d’une fois par quinzaine.

— Varney, c’en est assez. Je n’ai pas dit que cette démarche, à laquelle me pousse le désir d’assurer mon bien-être et ma tranquillité, dût être faite avec précipitation et sans nulle considération du bien public. Je te prends à témoin, Varney, que si je fais le sacrifice de mon goût pour la retraite, ce n’est point par des motifs d’ambition, mais afin de rester à un poste où je pourrai servir mieux que tout autre mon pays quand il en sera besoin. Maintenant demande nos chevaux. Je prendrai, comme autrefois, le manteau de livrée, et je porterai la valise en croupe… Tu seras le maître aujourd’hui, Varney ; ne néglige rien pour écarter les soupçons. Il faut que nous soyons à cheval avant que personne soit levé. Je ne veux que prendre congé de milady, puis je suis prêt. J’impose à mon pauvre cœur une cruelle contrainte, et j’en afflige un autre qui m’est encore plus cher, mais le patriote doit passer avant l’époux. »