Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/73

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s’arrêtant tout-à-coup et sortant de son ravissement ; puis se regardant de la tête aux pieds dans une glace plus grande que celles qu’elle avait vues jusqu’alors, et dont la pareille ne se trouvait même pas dans le palais de la reine, « tu as raison, » répéta-t-elle en voyant avec une vanité bien pardonnable cette magnifique glace réfléchir des charmes comme il s’en était rarement présenté devant sa surface brillante et polie ; « j’ai plutôt l’air d’une laitière que d’une comtesse, avec ces joues rouges et animées, et ces boucles noires, que tu as eu tant de peine à arranger, qui tombent comme les bourgeons d’une vigne qui n’a pas été taillée. Mon fichu aussi est chiffonné et laisse voir mon cou et mon sein plus que ne le permet la bienséance. Viens, Jeannette, il faut nous habituer à représenter. Passons dans le boudoir, ma bonne ; tu remettras à leur place ces boucles rebelles, et tu emprisonneras sous la dentelle et la batiste mon sein qui se soulève avec trop de violence. »

Elles passèrent donc dans le boudoir ; la comtesse s’étendit mollement sur une pile de coussins mauresques, à demi assise, à demi couchée, tantôt se laissant aller à ses pensées, tantôt écoutant le babil de sa suivante.

Tandis qu’elle était dans cette attitude où l’expression de ses beaux traits, participant à la fois de l’indifférence et de l’attente était en parfait rapport, elle était si séduisante, qu’on eût vainement parcouru la terre et les mers pour trouver un objet moitié aussi gracieux et moitié aussi aimable. La couronne de brillants qui se mêlait à sa chevelure n’égalait pas en éclat ses yeux, que des sourcils noirs, dessinés avec une délicatesse infinie, et de longs cils de même nuance, ombrageaient et faisaient ressortir encore. L’exercice qu’elle venait de prendre, ses douces espérances et sa vanité satisfaite, avaient répandu de vives couleurs sur son joli visage, auquel on avait quelquefois reproché d’être un peu trop pâle. Le collier de perles fines qu’elle portait, le même qu’elle venait de recevoir comme un gage d’amour de la part de son époux, était effacé en régularité par ses dents et en blancheur par sa peau, excepté quelques places que le plaisir et le contentement d’elle-même avaient colorées d’une teinte légèrement pourpre. « Avez-vous fini avec vos doigts empressés ? » dit-elle à son officieuse femme de chambre qui, dans son zèle, était encore occupée à réparer le désordre de sa chevelure et de sa toilette. « Avez-vous fini, dis-je ? il faut que je voie votre père avant que milord arrive, ainsi que M. Varney pour qui milord a une si haute estime, quoique