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ter y avait rassemblés. La plupart des personnes de distinction avaient momentanément quitté le château pour se joindre à la cavalcade des deux comtes ; celles qui étaient restées s’étaient placées d’avance sur les créneaux, les murs extérieurs et les tours, afin de jouir du magnifique spectacle de l’entrée de la reine. Ainsi, tandis que toutes les autres parties du château retentissaient de mille clameurs, le silence du jardin n’était interrompu que par le frôlement des feuilles, le gazouillement des hôtes d’une vaste volière, dignes émules de leurs compagnons plus fortunés qui erraient en liberté dans l’air, et la chute des eaux qui, lancées à perte de vue par des figures d’une forme fantastique et grotesque, retombaient avec un bruit continuel dans de grands bassins de marbre d’Italie.

Les pensées mélancoliques de Tressilian répandaient une teinte sombre sur tous les objets qui l’entouraient ; il comparait les scènes magnifiques qu’il avait sous les yeux aux épaisses forêts et aux vastes marécages qui entouraient Lidcote-Hall, et l’image d’Amy Robsart errait comme un fantôme au milieu de tous les paysages qu’évoquait son imagination. Rien n’est peut-être plus funeste au bonheur futur des hommes enclins à la rêverie et amis de la retraite que d’avoir éprouvé dans leur jeunesse une passion malheureuse ; elle s’enracine si profondément dans leur cœur qu’elle devient l’objet de leurs songes pendant la nuit, de leurs visions pendant le jour ; elle se mêle à toutes leurs occupations et à toutes leurs jouissances ; et lorsque le désappointement a fini par l’user et la flétrir, il semble que les sources du cœur se soient desséchées avec elle. Cette souffrance de l’âme, ces soupirs après une ombre qui a perdu la vivacité de ses couleurs, ce souvenir fixe d’un songe dont on a été brusquement éveillé, c’est la faiblesse d’une âme douce et généreuse ; c’était celle de Tressilian.

Il sentit à la fin la nécessité de reporter sa pensée sur d’autres objets, et, dans ce dessein, il quitta la Plaisance pour aller se mêler avec la foule bruyante qui était réunie sous les murs, et voir les préparatifs de la fête. Mais quand il fut sorti du jardin, et qu’il entendit le bruit confus de la musique et des éclats de rire qui retentissaient autour de lui, il éprouva une répugnance invincible à se mêler à des gens dont les sentiments étaient si peu en harmonie avec les siens. Il changea donc d’avis et résolut de se retirer dans la chambre qui lui avait été donnée, afin de s’y livrer à l’étude, jusqu’à ce que le son de la grande cloche lui annonçât l’arrivée d’Élisabeth.