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compagne. Il ne savait pas non plus quelle raison faire valoir pour obtenir l’entrée, et il cherchait dans sa tête comment il se tirerait d’embarras, lorsque le poursuivant du comte, ayant jeté un coup d’œil de son côté, s’écria, à sa grande surprise : « Yeomen, faites place à cet homme au manteau orange foncé. Avancez, maître faquin, et dépêchez-vous. Quel diable vous a retenu en chemin ?… Avancez avec votre balle de babioles pour les dames. »

Tandis que le poursuivant adressait cette invitation pressante, mais peu polie, à Wayland Smith qui, d’abord, ne put imaginer qu’elle fût pour lui, les yeomen se hâtaient de lui frayer un passage. Il se borna à recommander à sa compagne de se bien cacher le visage avec son voile, puis il passa la porte, conduisant par la bride le palefroi de la comtesse, mais d’un air si craintif et si inquiet, que la foule, qui n’était nullement satisfaite de la préférence dont ils étaient l’objet, salua leur entrée de huées et de rires moqueurs.

Introduits de la sorte dans le parc, quoiqu’ils eussent peu à se louer de l’accueil qu’on leur avait fait, Wayland et la comtesse s’avançaient vers le château, songeant aux obstacles qu’ils allaient rencontrer encore en traversant la large avenue garnie des deux côtés par une longue file de gens armés d’épées et de pertuisanes. Richement vêtus des livrées du comte de Leicester, et portant au bras son écusson, ces hommes d’armes étaient placés à trois pas l’un de l’autre, de manière à border toute la route, depuis la porte du parc jusqu’au pont. Lorsque la comtesse aperçut pour la première fois l’ensemble imposant du château, avec ses tours majestueuses qui s’élevaient du sein d’une longue ligne de murailles extérieures, ornées de créneaux, de tourelles et de plates-formes, partout où le demandait la défense de la place ; lorsqu’elle aperçut tant de bannières flottant sur ces remparts, tant de casques étincelants, tant de plumes ondoyantes qui brillaient au dessus des terrasses et des créneaux, enfin tous ces signes d’un luxe et d’une magnificence auxquels elle était demeurée jusqu’alors étrangère, elle sentit son cœur défaillir, et se demanda un moment ce qu’elle avait offert à Leicester pour mériter de partager avec lui cette splendeur vraiment royale. Mais son orgueil et sa noblesse d’âme lui donnèrent du courage pour résister au secret sentiment qui la disposait à perdre tout espoir.

« Je lui ai donné, pensait-elle, tout ce qu’une femme peut donner… Mon nom et ma réputation, mon cœur et ma main, voilà ce que j’ai donné au pied des autels au maître de ce magnifique sé-