Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/282

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mettant en colère à défaut de bonne raison, « pourquoi ? parce que c’est mon bon plaisir, mignonne, que cela ne soit pas. Allez entendre l’office du soir.

— Aussi vrai que j’espère l’entendre encore, répliqua Jeannette, je ne m’y rendrai pas ce soir que je ne sois rassurée sur le compte de ma maîtresse. Donnez-moi ce flacon, mon père, » et elle l’arracha malgré lui de sa main, qui s’ouvrit comme par une impulsion irrésistible de sa conscience. « Maintenant, mon père, ce qui doit faire du bien à ma maîtresse ne peut me faire du mal… Je bois à votre santé. »

Foster, sans dire un mot, se précipita sur sa fille et lui ôta le flacon des mains ; puis, comme embarrassé de ce qu’il avait fait, et tout-à-fait hors d’état de décider ce qu’il ferait ensuite, il resta immobile le flacon à la main, une jambe en avant, l’autre en arrière, et regardant sa fille d’un air où la fureur, la crainte et le sentiment de sa scélératesse se combinaient d’une manière hideuse.

« Voilà qui est étrange, mon père, » dit Jeannette en l’observant de ce regard auquel les gardiens de fous ont recours, dit-on, pour effrayer ces malheureux ; « ne voulez-vous me permettre ni de servir milady ni de boire moi-même ? »

Le courage de la comtesse la soutint pendant cette terrible scène, d’autant plus significative que pas un mot n’avait été dit pour l’expliquer. Elle conserva même cette insouciance irréfléchie qui faisait le fond de son caractère, et quoique ses joues eussent pâli à la première alarme, son œil était calme et presque dédaigneux. « Voulez-vous goûter de ce merveilleux cordial, monsieur Foster ? dit-elle ; peut-être ne refuserez-vous pas de me faire raison, quoique vous ne le permettiez pas à Jeannette. Buvez donc, monsieur, je vous prie.

— Je ne le veux pas, répliqua Foster.

— Et pour qui donc est réservé ce précieux cordial, monsieur ? ajouta la comtesse.

— Pour le diable qui l’a brassé, » répondit Foster en tournant sur ses talons ; et il quitta la chambre.

Jeannette regarda sa maîtresse avec une expression de figure où se peignaient au plus haut degré la honte, l’effroi et la douleur.

« Ne pleure pas pour moi, Jeannette, » dit la comtesse avec bonté.

« Non, madame, » répondit la jeune suivante d’une voix entrecoupée par les sanglots, « ce n’est pas pour vous que je pleure ;