Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/248

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— Ne feriez-vous pas mieux, mon neveu, de vous retirer dans une pièce particulière ? dit Giles Gosling ; vous parlez d’étranges choses, et il y a des espions partout.

— Je m’en moque, dit le magnanime Lambourne ; nargue des espions ! Je sers le noble comte de Leicester. Voici le vin ; verse à la ronde, maître échanson, verse une rasade à la santé du noble comte de Leicester… oui, du noble comte de Leicester. Celui qui ne me fera pas raison est un porc de Sussex, et je le forcerai à le faire à genoux, dussé-je lui couper les jarrets et le fumer comme un jambon. »

Personne ne refusa une santé proposée sous une peine aussi terrible ; et Michel Lambourne, dont l’ivresse, comme de raison, n’avait pas été diminuée par cette nouvelle libation, continua ses extravagances en renouvelant connaissance avec ceux des hôtes avec qui il avait été lié autrefois, avances qui étaient accueillies avec une déférence à laquelle se mêlait une dose raisonnable de crainte ; car le moindre serviteur du comte favori, et surtout un homme de la trempe de Lambourne, était bien fait pour inspirer ces deux sentiments.

Cependant le vieillard, voyant l’humeur intraitable de son guide, cessa de lui faire aucune remontrance ; et, s’asseyant dans le coin le plus obscur de la salle, il demanda une petite mesure de vin d’Espagne, sur laquelle il eut l’air de s’endormir, se dérobant autant que possible à l’attention de la compagnie, et ne faisant rien qui pût rappeler son existence au souvenir de son compagnon de voyage. Celui-ci, de son côté, avait formé une intime liaison avec son ancien camarade Goldthred d’Abingdon.

« Ne crois jamais rien de ce que je te dirai, brave Michel, dit le mercier, si je ne suis pas aussi content de t’avoir vu que si je voyais l’argent d’une pratique. C’est maintenant que tu peux introduire adroitement un ami dans une mascarade ou dans une fête ; que tu peux, lorsque Sa Seigneurie vient dans ces cantons et a besoin d’une fraise d’Espagne ou de quelque chose semblable, lui glisser dans l’oreille : Il y a ici un de mes vieux amis, le jeune Lawrence Goldthred d’Abingdon, qui a de bonnes marchandises, des linons, des gazes, des batistes, etc. ; de plus, c’est un des plus braves qu’il y ait dans le Berkshire, et il se mesurera, pour Votre Seigneurie, avec tout homme de sa taille ; tu peux encore dire…

— Je puis encore dire une centaine de damnés mensonges, n’est-ce pas, monsieur le mercier ? mais on ne doit pas être arrêté par un mot, lorsqu’il s’agit de servir un ami.