Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/232

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— Tu déraisonnes, Varney, répondit Leicester. D’ailleurs notre siècle en a vu assez pour dégoûter les hommes de la couronne qu’un mari reçoit de sa femme. On a vu Darnley en Écosse.

— Lui ! une oie, un sot, un âne trois fois bâté, qui se laissa lancer en l’air comme une fusée un jour de fête. Si Marie eût eu le bonheur d’épouser le noble comte, jadis destiné à partager son trône, elle eût eu affaire à un mari d’une autre trempe ; et son mari eût trouvé en elle une femme aussi docile, aussi aimante que la compagne du dernier écuyer qui suit à cheval la meute de son mari, et lui tient la bride quand il monte à cheval.

— La chose aurait bien pu être comme tu le dis, Varney, » dit Leicester ; et un léger sourire de contentement de lui-même passa sur sa figure inquiète. « Henri Darnley connaissait peu les femmes… Avec Marie un homme qui eût connu son sexe eût eu quelque chance de maintenir l’honneur du sien. Mais il n’en serait pas ainsi avec Élisabeth car je crois que Dieu en lui donnant le cœur d’une femme lui donna la tête d’un homme pour en réprimer les folies… Non, je la connais, elle acceptera de vous des gages d’amour, et vous rendra même la pareille… Elle mettra dans son sein des sonnets bien doucereux et y répondra… Elle poussera la galanterie jusqu’au point où elle devient échange de tendresse… Mais elle écrit nil ultrà à tout ce qui doit suivre, et ne troquerait pas un iota de son pouvoir suprême pour tout l’alphabet de Cupidon et de l’Hymen.

— C’est tant mieux pour vous, dit Varney ; c’est-à-dire en supposant que telles soient ses dispositions, puisque vous ne pensez pas pouvoir aspirer à devenir son mari. Vous êtes son favori, et vous pouvez continuer à l’être, si la dame de Cumnor-Place reste dans son obscurité actuelle.

— Pauvre Amy ! » dit Leicester avec un profond soupir, « elle désire si ardemment être reconnue devant Dieu et devant les hommes !

— Sans doute, milord : mais son désir est-il raisonnable ? voilà la question. Ses scrupules religieux sont levés : elle est épouse honorée et chérie… Elle jouit de la société de son mari toutes les fois que des devoirs plus importants lui permettent de venir lui tenir compagnie… Que veut-elle de plus ? Je suis convaincu qu’une femme aussi douce et aussi aimante consentirait à vivre dans une certaine obscurité, obscurité qui après tout n’est pas plus triste que celle où elle passait ces jours à Lidcote-Hall, plutôt que de porter la moin-