Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/190

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un retour des sentiments de méfiance jalouse qu’on lui avait inspirés en lui rapportant que le comte entretenait des gens armés autour de sa personne, elle invita Raleigh, d’un ton aigre, à réserver ses avis pour le moment où on les lui demanderait, et répéta son premier ordre de prendre terre à Deptford, ajoutant : « Nous verrons par nous-même quelle espèce de maison tient milord Sussex.

— Maintenant, que le Seigneur ait pitié de nous ! » dit en lui-même le jeune courtisan. « Pour de braves cœurs, le comte en a autour de lui ; mais les bonnes têtes sont rares parmi nous, et il est lui-même trop malade pour donner des ordres. Blount sera à déjeuner avec des harengs d’Yarmouth et un pot d’ale ; Tracy avec ses maudits boudins noirs et son vin du Rhin : de leur côté, ces buses de Gallois, Thomas Ap Rica et Evans seront en train de préparer leur soupe aux poireaux et de faire griller leur fromage : avec cela, on assure que la reine déteste les aliments grossiers, les odeurs fortes et les vins communs. S’ils pouvaient seulement songer à brûler un peu de romarin dans la grande salle… Mais vogue la galère ! il faut maintenant tout abandonner au hasard. Le sort ne m’a pas trop maltraité ce matin, car je crois que si j’ai gâté un manteau, j’ai fait en revanche une assez belle fortune de cour. Puisse mon excellent patron ne pas être plus malheureux ! »

La barque de la reine aborda bientôt après à Deptford, et, au milieu des acclamations générales que sa présence ne manquait jamais d’exciter, la reine, accompagnée de sa suite, s’avança sous un dais vers Say’s-Court, où le bruit lointain des cris du peuple donna la première nouvelle de son approche. Sussex, qui délibérait alors avec Tressilian sur les moyens de réparer le tort que pouvait lui avoir fait auprès de la reine l’événement du matin, fut extrêmement surpris d’apprendre sa prochaine arrivée, non qu’il ignorât que la reine était dans l’usage de faire des visites aux personnages les plus distingués de sa cour, malades ou non ; mais sa soudaine apparition ne lui laissait pas le temps de faire, pour la recevoir, aucun de ces préparatifs qu’il savait être si fort du goût d’Élisabeth ; et le désordre, la confusion de sa maison militaire, qui avaient encore augmenté pendant sa maladie, faisaient qu’il se trouvait tout-à-fait au dépourvu pour une pareille réception.

Maudissant intérieurement le hasard qui lui procurait cette visite si gracieuse et si imprévue, il se hâta de descendre avec Tressilian, dont il venait d’écouter très attentivement l’intéressante histoire.