Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/182

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À ces mots il fit approcher le bateau de la rive à quelque distance de l’escalier, dont il n’eût pas été respectueux de s’approcher en ce moment, et sauta à terre, suivi, quoiqu’à regret, de Blount, son méticuleux compagnon. Comme ils avançaient vers la porte du palais, un des huissiers leur dit qu’ils ne pouvaient pas entrer, parce que Sa Majesté allait sortir. Ils prononcèrent le nom du comte de Sussex ; mais il n’eut aucune vertu pour fléchir ce personnage, qui leur répliqua que ce serait risquer son emploi que de désobéir le moins du monde aux ordres qu’il avait reçus.

« Ne te l’avais-je pas dit ? s’écria Blount. Allons, mon cher Walter, reprenons notre barque, et allons-nous-en.

— Non pas avant que j’aie vu sortir la reine, » répliqua le jeune homme avec fermeté.

« Tu es fou, tout-à-fait fou, par la messe ! répondit Blount.

— Et toi, dit Walter, te voilà devenu tout-à-coup un poltron. Je t’ai vu tenir tête à une dizaine de kernes irlandais[1], et t’en tirer avec honneur, et maintenant tu clignoterais, tu reculerais pour éviter le regard courroucé d’une belle dame. »

En ce moment les portes s’ouvrirent, et les huissiers commencèrent à défiler en ordre, précédés et suivis de la troupe des gentilshommes pensionnaires[2]. Après eux, au milieu d’une foule de seigneurs et de dames, disposés cependant de façon qu’elle pût être vue de tous les côtés, venait Élisabeth elle-même, alors dans la force de l’âge et brillante de tout l’éclat de ce qu’on peut appeler beauté dans une reine ; en effet, même dans la classe la plus obscure, on eût trouvé sa taille noble et sa physionomie remarquable et imposante. Elle s’appuyait sur le bras de lord Hunsdon, à qui sa parenté avec la reine du côté de sa mère procurait souvent une marque d’intimité assez prononcée de la part d’Élisabeth.

Le jeune cavalier que nous avons nommé si souvent n’avait probablement jamais approché de si près la personne de sa souveraine, et il s’avança jusqu’à la dernière ligne des gardes pour profiter de cette occasion de la voir. Son compagnon, au contraire, maudissant son imprudence, ne cessait de le tirer par derrière ; mais Walter se débarrassa de ses mains, et par une secousse brusque, qui fit tomber son manteau de l’une de ses épaules, il fit ressortir sa belle taille avec plus d’avantage. Ôtant en même temps son bonnet, il fixa ses regards avides sur la reine, avec un mélange de curiosité respec-

  1. Fantassins irlandais armés à la légère. a. m.
  2. Gardes nobles des rois d’Angleterre. a. m.