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selon le langage du temps, un martialiste, un homme de guerre ; il avait servi avec éclat en Irlande, en Écosse, et surtout dans la Grande rébellion du nord, en 1569, qui avait été étouffée en grande partie par ses talents militaires. Il était donc naturellement entouré et estimé de ceux qui voulaient parvenir à la fortune par la carrière des armes. Le comte de Sussex, en outre, était d’une famille plus ancienne et plus honorable que son rival : il représentait en sa personne les deux nobles maisons de Fitz-Walter et des Ratcliffe ; tandis que l’écusson de Leicester était entaché par la dégradation de son grand-père, le despotique ministre de Henri VII, tache qui n’avait pas été effacée par le supplice de son père, l’infortuné Dudley, duc de Northumberland, exécuté à Tower-Hill, le 2 août 1553. Mais par sa personne, par les agréments de sa figure et par son esprit, armes si puissantes à la cour d’une femme, Leicester avait des avantages plus que suffisants pour contre-balancer les services militaires, la haute naissance et la loyauté du comte de Sussex : aussi passait-il aux yeux de la cour et du royaume pour occuper le premier rang dans les bonnes grâces d’Élisabeth, quoique, par suite de l’invariable politique de cette princesse, rien ne marquât assez décidément cette faveur pour rassurer celui-ci contre les triomphes définitifs des prétentions de son rival. La maladie du comte de Sussex arriva si à propos pour Leicester, qu’elle fit naître dans le public d’étranges soupçons ; et, tandis que les partisans de l’un étaient en proie aux plus vives appréhensions, ceux de l’autre étaient pleins des plus brillantes espérances. Cependant comme, dans ce bon vieux temps, on ne perdait jamais de vue la possibilité de vider la querelle à la pointe de l’épée, les partisans de ces deux seigneurs se pressaient autour de leur patron, se montraient armés de toutes pièces jusque dans le voisinage de la cour, et alarmaient la reine par leurs fréquents débats, qui avaient souvent lieu aux portes même de son palais.

Cet exposé préliminaire était indispensable pour rendre ce qui suit intelligible au lecteur.

Tressilian, à son arrivée à Say’s-Court, trouva le château rempli des partisans du comte de Sussex, et de gentilshommes qui venaient garder leur patron pendant sa maladie. Tous avaient les armes à la main, et un air d’anxiété profonde régnait sur toutes les figures, comme si l’on eût appréhendé une attaque violente et prochaine de la part de la faction opposée. Tressilian ne trouva néanmoins que deux gentilshommes dans l’antichambre où il fut intro-