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« Voici donc, dit-elle, voici l’enfant de ta malheureuse fille, ma chère Madeleine, et c’est lui, le seul rejeton d’un arbre antique, que tu dévoues volontairement à la bonne cause !

— Oui, de par la croix ! » répondit Madeleine Græme avec son ton ordinaire de résolution, « je le voue à la bonne cause, chair et os, corps et âme.

— Tu es une heureuse femme, sœur Madeleine, reprit sa compagne, de t’être élevée assez au-dessus des affections humaines pour conduire une semblable victime aux marches de l’autel. Si j’eusse été appelée à faire un pareil sacrifice, à plonger un jeune homme si beau dans les complots et les œuvres sanguinaires du temps, je n’eusse pas éprouvé moins de douleur que le patriarche Abraham quand il mena son fils sur la montagne. »

Elle continua de contempler Roland avec un air de compassion, jusqu’à ce que la persistance de son regard eût fait monter le rouge au visage du jeune homme ; et il était prêt à s’éloigner, quand sa grand’mère l’arrêta d’une main, tandis que de l’autre elle écartait les cheveux de son front devenu cramoisi, et qu’elle ajoutait avec un mélange d’affection orgueilleuse et de résolution inébranlable : « Oui, regarde-le bien, ma sœur, car ton œil n’a jamais contemplé un plus beau visage. Moi aussi, quand je le vis pour la première fois, j’éprouvai ce que ressentent les mondains et mon dessein fut à moitié ébranlé : mais aucun vent ne peut arracher une feuille de l’arbre flétri, qui depuis long-temps est dépouillé de son feuillage ; de même aucun accident humain ne peut réveiller les affections terrestres qui ont sommeillé long-temps dans le calme de la dévotion. »

La contenance de la vieille femme démentait ses paroles, et des larmes coulèrent de ses yeux quand elle ajouta : « La victime la plus belle et la plus pure n’est-elle pas, ma sœur, la plus digne d’être acceptée ? » Et paraissant heureuse de se dérober aux sensations qui l’agitaient : « Ma sœur, poursuivit-elle, il échappera ! on trouvera un bélier arrêté par un buisson épais ; le jeune Joseph ne tombera pas sous la main de ses frères révoltés. Le ciel, pour défendre ses droits, peut se servir des enfants au berceau, des jeunes filles et des jeunes hommes.

— Le ciel nous a délaissés, dit l’autre femme ; nos péchés et ceux de nos pères ont privé cette contrée maudite de l’appui des bienheureux. Nous pouvons obtenir la palme du martyre, mais jamais celle d’un triomphe terrestre. Celui dont la prudence nous