Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/93

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— Anges et saints ! reprit Madeleine, entends-je ces paroles de l’enfant de mon espoir, du nourrisson au lit duquel je me suis agenouillée, et pour qui j’ai lassé de mes prières tous les habitants du ciel ? Roland, l’obéissance seule peut me prouver ton amour et ta reconnaissance. Peu m’importe de savoir que, peut-être, tu adopterais la marche que je te propose, si je te l’expliquais entièrement ! Alors, tu ne suivrais pas mes ordres, mais ton propre jugement ; tu ne ferais pas la volonté du ciel qui t’est communiquée par ta meilleure amie, par celle à qui tu dois tout, mais tu obéirais à ta raison imparfaite. Écoute-moi, Roland ! un destin t’appelle, te sollicite, te commande : c’est le destin le plus élevé où l’homme puisse atteindre ; et il te parle par la voix de ta première, de ta meilleure, de ton unique amie ; peux-tu donc y résister ?… Alors, pars, laisse-moi ici ; mes espérances sur terre sont perdues, flétries ; je m’agenouillerai devant cet autel profané, et quand les hérétiques furieux reviendront, ils le teindront du sang d’une martyre.

— Mais, ma mère bien-aimée, » s’écria Roland Græme, à qui cette brusque explosion de colère et de désespoir rappelait trop bien d’anciens et pénibles souvenirs ; « ma mère, je ne veux pas vous abandonner ; je veux rester près de vous : des bataillons entiers ne m’arracheront pas de vos côtés ; je vous protégerai, je vous défendrai, je vivrai avec vous, et je mourrai pour vous.

— Un mot, mon fils, vaudrait tout ceci : dis seulement, je vous obéirai.

— N’en doutez pas, ma mère, reprit le jeune homme, je vous obéirai, et de tout mon cœur, seulement…

— Non, je n’admets pas de condition à ta promesse, » dit Madeleine Græme en le prenant au mot : « l’obéissance que j’exige est absolue et que la bénédiction soit sur toi, souvenir vivant de mon enfant bien-aimé, toi qui as la force de faire une promesse si pénible pour l’orgueil humain ! Tu peux te fier à moi, sache que dans le projet auquel tu t’associes à moi, tu as pour collègues les puissants et les braves, l’autorité de l’Église et l’orgueil de la noblesse. Mort ou vivant, dans ton succès ou dans ta chute, ton nom sera inscrit parmi ceux avec lesquels il est également glorieux de vaincre ou de tomber, également bon de vivre ou de mourir. En avant donc, en avant ! la vie est courte, et notre tâche est laborieuse ; les saints, les anges et toute l’armée bienheureuse du ciel ont les yeux en ce moment même sur cette terre