Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/72

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mains de dessus sa figure, et Fischer continuait de le consoler à sa manière.

« Lorsque vous étiez le mignon de milady, on vous accusait généralement de fierté, quelques-uns même vous croyaient papiste, et je ne sais plus quoi ; maintenant donc que vous n’avez plus de protecteurs, il faut être sociable et franc, subir l’examen du ministre, faire en sorte qu’on ait une tout autre opinion de vous. Et si le ministre vous juge coupable, vous devez courber votre tête en silence. Si un gentilhomme ou le page d’un gentilhomme vous adresse une parole dure ou vous inflige quelque légère correction, dites-lui seulement : Je vous remercie d’avoir épousseté mon habit, ou quelque chose de semblable ; précisément comme je me comportais moi-même envers vous. Mais écoutez Woodcock qui siffle encore : allons, suivez-moi, et je continuerai, en marchant, à vous mettre au courant de tout cela.

— Je vous remercie, » dit Roland Græme, s’efforçant de prendre un air d’indifférence et de supériorité ; » mais je me suis tracé une autre route, et quand même il n’en serait pas ainsi, je ne pourrais suivre celle que vous prenez.

— Très-bien, monsieur Roland, reprit le rustre, chacun doit connaître ses propres affaires ; je ne vous détournerai donc point de votre chemin. Mais au moins, camarade, donnons-nous une poignée de main. Quoi ! vous me refusez, et nous allons nous séparer ? Eh bien soit ! commue il vous plaira. Peu m’importe. Adieu donc, que le ciel vous bénisse !

— Adieu, adieu, » dit Roland avec vivacité. Et le rustre s’éloigna rapidement en sifflant, joyeux sans doute d’être débarrassé d’un homme dont les prétentions auraient pu le gêner, et qui d’ailleurs ne possédait plus les moyens de lui être utile.

Roland Græme redoubla de vitesse aussi long-temps que Ralph et lui furent en vue l’un de l’autre. Il désirait que son ancien camarade n’aperçût aucune indécision, aucune incertitude dans sa résolution. Mais combien était cruel l’effort qu’il faisait sur lui-même ! Il était comme étourdi et saisi de vertiges ; il lui semblait marcher sur un terrain dépourvu de solidité, fléchissant sous ses pas comme la surface d’un marécage ; il faillit même tomber deux ou trois fois, quoiqu’il marchât sur une pelouse ferme et unie. Et néanmoins, en dépit de l’agitation intérieure qui se révélait par ces symptômes, il continua résolument sa route jusqu’à ce que le penchant de la colline eût dérobé Ralph Fischer à ses yeux. Alors