Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/39

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sais, il aurait été assujetti suivant l’usage rigoureux de ces temps-là. D’ailleurs l’intendant, ou le majordome, tel était le titre pompeux que s’arrogeait le chef des domestiques de chaque petit baron, ne crut pas à propos de prendre parti contre le favori de la dame Avenel, surtout parce que c’était elle qui avait apporté ce domaine dans la famille. Maître Jasper Wingate était un homme versé, comme il s’en vantait souvent, dans la connaissance de ce qui se passait au sein des grandes maisons, et savait diriger sa barque, même contre vent et marée.

Ce prudent personnage fermait les yeux sur beaucoup de choses, et évitait de fournir à Roland Græme l’occasion de lui désobéir : dans ce but il n’exigeait rien du jeune page au-delà de ce que celui-ci paraissait disposé à faire de lui-même. Il conjecturait avec raison que, si petite que fût la part du jeune homme à la faveur du chevalier d’Avenel, cependant porter des plaintes contre lui serait se mal faire venir de la maîtresse, sans se concilier les bonnes grâces du maître. Agissant d’après ces considérations prudentes, et non sans consulter ses aises et ses convenances, il en montra à l’enfant autant, et seulement autant que celui-ci voulut bien en apprendre, admettant volontiers toute raison qu’il plaisait à son élève de donner pour excuser sa paresse ou sa négligence. Comme les autres personnes du château qui étaient chargées de l’instruction du jeune page imitaient la prudente conduite du majordome, on n’exerçait qu’une bien légère surveillance sur Roland Græme, par conséquent ; et celui-ci acquérait en somme les connaissances qu’un esprit actif et l’ennui d’une oisiveté absolue lui faisaient obtenir de lui-même par l’emploi de ses propres moyens.

Sa qualité de favori de lady Avenel le faisait aussi mal venir des gens attachés au chevalier. Plusieurs d’entre eux, du même âge et d’une origine aussi obscure que le page fortuné, se voyaient assujettis à l’observation de l’ancienne et rigoureuse discipline du service féodal. Roland Græme était donc pour ceux-là un objet de jalousie, et ils manifestaient leur haine en rabaissant son mérite ; mais le jeune homme possédait des qualités qu’il était impossible de déprécier. Un noble orgueil, et un sentiment d’ambition qui se manifesta de bonne heure, firent pour lui ce que la sévérité et des leçons constantes faisaient pour les autres. Le jeune Roland déploya, dès ses premières années, cette flexibilité de corps et d’esprit qui fait de tout exercice, soit mental, soit corpo-